Car lorsqu’on parle d’animation en France, c’est en réalité tout un pan de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel qui est concerné, souvent sous-estimé ou mis de côté au profit de la prise de vues réelles. Alors même qu’il est extrêmement dynamique, et que les écoles d’animation françaises comme l’ESMA ont acquis une renommée internationale.
Rassembler pour fédérer, c’est l’objectif derrière ces assises, qui se sont tenues à Paris la semaine dernière au Forum des Images et étaient centrées autour du long métrage, peut-être la forme la plus périlleuse mais aussi la plus médiatique du cinéma d’animation.
Une journée de rencontres, de discussions et de débats organisée par l’Association Française du Cinéma d’Animation (AFCA), le syndicat AnimFrance et le Syndicat des Producteurs Indépendants (SPI), avec la participation du CNC et le soutien de la Société des producteurs de cinéma et de télévision (PROCIREP), du Forum des Images et de Transperfect Media.
Développer, financer, diffuser : les grands défis
De quoi a-t-on parlé, et qu’est-ce qui ressort de cet “État de l’Union” du long métrage d’animation en France?
D’abord, que le développement du cinéma d’animation se construit autour d’auteurs, d’autrices et de scénaristes dans un processus collaboratif, spécifique au médium.

Pour Jean Regnaud, scénariste notamment de SamSam, Chien Pourri ou Ernest et Célestine, “l’animation a cela de particulier que l’écriture est une écriture théorique, et que rien n’est jamais finalisé avant l’animatique.
Suivre le projet jusqu’à l’animatique est donc nécessaire, et cela représente une dynamique très différente de la prise de vues réelles.”
Un constat que partage Mai Nguyen, réalisatrice du long métrage français In Waves, actuellement en production. “Les différentes phases qui mènent de la transition de l’écrit à l’animatique sont complexes, et il arrive régulièrement que des choses qui fonctionnent sur papier ne marchent pas à l’image. L’écriture, et la réécriture car dans mon cas, nous avons dû réduire l’animatique de 15 minutes, doivent être un processus collaboratif sous le signe de la bienveillance.”
À l’ESMA, c’est cette même approche qui est adoptée pour l’élaboration des courts métrages de fin d’étude. Sur base d’un pitch proposé par les étudiants, les équipes se construisent par affinité avec l’idée, avant de créer ensuite un récit construit en commun, qui sera traduit en images par l’équipe. Une complémentarité qui reflète bien les situations que les étudiants rencontrent ensuite dans le monde professionnel.
Mais comment financer ces développements, souvent bien plus long et plus coûteux que ceux de la prise de vues réelles?
C’est bien là le nœud du problème, selon Nicolas Schmerkin, producteur chez Autour de Minuit. Depuis plus de vingt ans, le producteur (lauréat de l’Oscar du meilleur court métrage d’animation avec Logorama) développe courts et long métrages d’animation, même si sur ces derniers, le taux d’achèvement demeure alarmant.. “On plaisante souvent en disant qu’on ne peut pas vivre du métier de producteur de long métrage d’animation. Je peux vous l’assurer, le métier de développeur de long métrage d’animation, encore moins!”, assène Schmerkin. “En tant que producteur de courts, c’est très dur de voir des auteurs qui restent coincés dans ce format parce que dès qu’on propose un projet de long-métrage, on est renvoyé à une case : celle de l’animation jeune public et du dessin animé. Que je sache, on n’oblige pas les gens qui sortent de la FEMIS à faire de la comédie avec Dany Boon…”
Derrière l’ironie, c’est bien là le défi du long métrage d’animation : sortir des blocages liés au médium, et placer l’animation comme art à part entière. Les étudiants de l’ESMA, à travers les différents courts métrages qu’ils développent en fin d’étude, sont aussi confrontés à ce cloisonnement lorsqu’il s’agit de diffuser les films dans les festivals, bien que de nombreux festivals de courts métrages soient également ouverts à l’animation, et que l’équipe de diffusion de l’ESMA travaille au placement de ces films avec rigueur et précision.

Ron Dyens (Sacrebleu Productions), lauréat de l’Oscar du meilleure long métrage d’animation avec Flow rejoint également ce constat. “En France, il y a encore un blocage vis-à-vis de l’animation pour adultes.
Au Japon, pas du tout, c’est intégré dans la culture. Avec la mondialisation, on se rend compte que ça évolue, mais cela reste très lent. Lorsque l’on présente nos films en commission [pour obtenir des soutiens, comme celui du CNC par exemple, NDLR], il faut donner beaucoup plus, faire de la pédagogie, et se prendre des rejets très violents.”
Une frustration qui se ressent également chez d’autres producteurs. Mais avec les succès récents de Flow, Amélie et la Métaphysique des Tubes, ou encore de productions internationales comme KPop Demon Hunters ou Demon Slayer, certains voient l’avenir avec optimisme. Pour autant que les aides à la production continuent, voire augmentent, et que le public soit au rendez-vous. Pour se préparer à ce futur, les étudiants se confrontent aux défis de la production d’animation tout au long de leur cursus.
Une nouvelle spécialisation sur les métiers de la production est par ailleurs en préparation au sein de l’ESMA, afin de donner les meilleurs outils à celles et ceux qui, comme Joe Azar, alumni travaillant désormais au sein des studios TAT mais aussi producteur indépendant,, souhaiteraient se lancer dans cette branche.
Distribution : Comment amener le public pour voir de l’animation sur grand écran?
En France, Flow a cumulé plus de 780.000 entrées, un succès phénoménal et inattendu, pour un film qui a su fédérer le public et la critique. Pour la société UFO Distribution, une aubaine, mais aussi un travail de longue haleine pour programmer, sensibiliser, et diffuser ce film auprès des salles de cinéma.
Car face aux studios américains, qui inondent le marché de copies et trustent les meilleurs créneaux, le distributeur indépendant doit se battre continuellement pour exister, et faire voir son film. “Cela n’est peut-être pas évident pour le grand public, mais de notre côté lorsqu’on arrive avec un film d’animation, quel qu’il soit, on nous offre systématiquement des créneaux MSD, soit mercredi-samedi-dimanche, des horaires familiaux”, soulignent Wild Bunch, KMBO et UFO, les trois sociétés de distribution représentées dans le troisième panel de cette journée d’échanges. Et même dans le cas de sorties destinées au jeune public, comme ce fut le cas cet été de Falcon Express des studios TAT (avec qui collaborent de nombreux anciens étudiants), il n’est pas facile de se faire une place face aux géants américains.

Comment sortir de cette impasse? Par pédagogie, d’une part, en reprenant avec patience les exploitants pour expliquer que “non, ce n’est pas un dessin animé Disney”, ou que “oui, c’est un film pour adultes, avec des nounours [en parlant d’Unicorn Wars]”. Ou bien, en construisant des programmations thématiques, saisonnières. Noël est ainsi devenu, pour KMBO, une période où les programmes de courts métrages compilés fonctionnent très bien auprès du public.
Et enfin, en apprenant des success stories de Demon Slayer, des récents Ghibli, ou d’autres films comme le long métrage Ne Zha 2, plus grand succès au box-office mondial en 2025 et premier film d’animation à avoir dépassé les deux milliards de dollars de recettes.
Une inventivité, mais aussi une flexibilité qui doit se construire en synergie avec les auteurs et les producteurs, et aussi (autant que possible) avec l’ensemble du monde de la distribution, malgré tout toujours très concurrentiel et de plus en plus imprévisible.
Mais au fait, y a-t-il un public pour le long métrage d’animation en France?
La question qui fâche mérite d’être posée. Pour le secteur, la réponse est évidemment oui, mais il faut souligner que le travail reste encore long pour construire des audiences fidèles, comme c’est le cas au Japon. La présence à Cannes de films comme Flow, Arco ou Planètes, et la récente couverture de Télérama qui présentait en Une Amélie et la Métaphysique des tubes font partie de ce travail de pédagogie, mené de concert par bon nombre de passionnés.

Pour Julien Rejl, délégué général de la Quinzaine des Cinéastes à Cannes, cela passe aussi par une forme d’humilité. “Quand on a pas la culture d’un art, on peut passer à côté. Or, l’animation est un art que nous souhaitons mettre en avant à sa juste valeur, comme tout type de cinéma, que nous voulons faire découvrir à une diversité de cinéphiles”. Alex Dudok de Wit avait ainsi été recruté par le festival en 2024, en tant que consultant.
“Si on n’opère pas cette pédagogie, ce sont toujours les mêmes qui sont mis en avant dans la presse”, souligne Perrine Quennesson, journaliste indépendante.
“Pixar, Disney, Sony et les franchises trustent les couvertures des magazines, et il faut se battre pour mettre des journalistes devant des films d’animation autres.

Or, on a vu l’effet que peut avoir Cannes sur un film comme Flow. Et la presse écrite, mais aussi la TV et la radio restent d’une grande importance pour ces films. Ce que j’ai constaté, c’est vrai, c’est qu’il y a une frontière liée à l’âge, à la génération. Les plus jeunes générations, notamment celles qui ont grandi avec des anime japonais [comme c’est le cas de la plupart des étudiants de l’ESMA], ont moins de réserve face à l’animation.”
Pour construire ce public, les salles aussi se mobilisent. L’AFCAE, Association Française des cinémas Art et Essai, travaille régulièrement autour de films d’animation (jeunes publics, mais pas que) pour pousser les écoles et les jeunes à se rendre en salle de cinéma. Et au-delà, l’enseignement du cinéma d’animation et son étude dans les universités se développe également, sous l’impulsion d’initiatives multiples.
On peut, ici également, espérer un avenir radieux, il faudra juste du temps.
La France, pays de l’animation, avec Annecy pour capitale
Ce futur où l’animation (réunie ici à Paris, et demain à Annecy) est reconnue, valorisée, financée et diffusée à sa juste valeur, n’est peut-être pas si lointain. L’ESMA, de même que les autres écoles d’animation françaises, sont reconnues dans le monde entier pour la qualité de leurs formations, que ce soit en 3D ou en effets spéciaux.
Et ce savoir-faire, c’est aussi celui qui sera mis en avant dès juin 2026, au travers de la nouvelle Cité internationale du cinéma d’animation d’Annecy, initiée et gérée par les équipes du festival. Un lieu où ce médium aura, 365 jours par an, sa place comme art à part entière.
Avec, en prime, une forte connexion avec les publics locaux et internationaux, aux écoles et aux studios de la région, et toujours dans cette optique de pédagogie et d’ouverture qui était le fil conducteur de cette journée parisienne.
Conclusion(s) et touches d’espoir
L’animation, plus encore que toute autre forme de cinéma, est un art d’équipe. Un travail de longue haleine où chaque engrenage, chaque artiste et chaque maillon de la chaîne a son importance. Aux assises de l’animation, où l’on a souligné plus d’une fois l’excellence des écoles françaises dans lesquelles fleurissent chaque année les talents de demain, le mot d’ordre est simple : l’union fait la force.
C’est également le constat posé par le président d’AnimFrance, Samuel Kaminka, concluant cette journée. “La qualité des échanges, la diversité et la recherche de solutions en commun me font me dire que si le monde entier tournait comme le secteur de l’animation, il tournerait sûrement plus rond. En France, on a parmi les meilleures écoles du monde, avec un potentiel très fort de croissance auprès du public. Il faut être inventif et solidaire pour aller de l’avant.”
Au travers de ses formations, mais aussi de par les connexions solides qu’elle maintient à travers l’ensemble du territoire français et au-delà, l’ESMA s’intègre dans cette dynamique positive.
En restant à l’écoute du secteur, en adaptant ses parcours aux retours de terrain, et en gardant le contact avec de nombreux studios et sociétés de production, l’ESMA occupe une place essentielle dans l’écosystème de l’animation française, et donc de la création de ces films encore à naître, mais qui seront les succès de demain.
Pour en savoir plus et découvrir l’intégralité des Assises en vidéo, rendez-vous sur le site de l’AFCA