Hervé Dupont est directeur général délégué et producteur chez Fortiche Productions.
À ce titre, il pilote l’organisation du studio, autant sur les aspects artistiques que structurels. Cette double casquette lui donne une vue transversale sur le fonctionnement d’une entreprise qui, depuis quelques années, bouscule les codes de l’animation.
Chez Fortiche, le processus créatif ne s’arrête pas à la pré-production. « On part d’un concept fort, qu’on enrichit à chaque étape. »
Du storyboard à l’animatique, puis tout au long de la fabrication, chaque équipe est invitée à proposer, expérimenter, affiner. « À chaque couche, on ajoute une intention. C’est un processus d’accumulation qui construit la qualité finale. »
Cette approche itérative donne aux productions du studio leur texture unique, tant sur le plan visuel que narratif.

Un style né d’une frustration
Le style Fortiche, reconnaissable entre tous, est né d’un constat : les visuels riches et vibrants des artbooks ne se retrouvent presque jamais à l’écran. « À l’époque, les films 3D dominants, Pixar, DreamWorks, proposaient des rendus très lisses. Les fondateurs de Fortiche ont voulu retrouver la vibration graphique, l’énergie du trait qu’on voyait dans les documents préparatoires. »
Ce désir de “ramener de la matière” à l’image a donné naissance à une hybridation assumée entre 2D et 3D, entre picturalité et modélisation, entre technicité et expressivité. Le résultat : un style visuel singulier, à la fois moderne et organique, où chaque plan revendique une ambition esthétique.
Arcane : un projet hors norme

Le succès mondial d’Arcane a propulsé Fortiche dans une autre dimension.
Mais derrière l’impact se cache un chantier hors norme, à la fois collectif et personnel.
« On a fait quelque chose que personne n’avait jamais tenté auparavant.
Une série d’animation au format ambitieux, avec des exigences dignes d’un long-métrage. »
Le défi était technique, artistique, mais aussi structurel : le studio passe en quelques années de 70 à 450 personnes.
Et surtout, il s’agit de faire coexister des cultures de production très différentes : un petit studio habitué aux clips et à la publicité, un géant du jeu vidéo (Riot Games), des équipes venues du long-métrage, d’autres de la série télé… et aucune méthode éprouvée pour concilier tout ça.
« Il a fallu inventer notre propre manière de faire. » Une grammaire commune, une organisation, une culture de studio en construction. Pour Dupont, ce fut aussi un défi de management : piloter la croissance d’un studio en pleine mutation, structurer une équipe qui grossit vite, sans perdre l’esprit d’origine. Un double enjeu : maintenir l’exigence artistique tout en bâtissant une entreprise capable d’encaisser un tel changement d’échelle.

Riot Games : un partenaire durable
La collaboration avec Riot Games ne date pas d’Arcane : elle a commencé en 2013. Depuis, la relation s’est renforcée. Riot est devenu actionnaire minoritaire de Fortiche, mais au-delà des liens capitalistiques, c’est un partenariat créatif profond qui s’est noué.
« On a appris à se faire confiance. On a partagé un succès. Aujourd’hui, on peut envisager des projets ensemble avec plus de liberté. »
Pas question de refaire Arcane à l’identique, mais plutôt de prolonger la dynamique : celle du projet improbable qui devient un jalon dans le paysage. Fortiche assume désormais sa singularité et avance avec Riot sur de nouvelles productions, en capitalisant sur cette culture commune, forgée dans la complexité du premier succès.
Deux projets, deux ambitions

Parmi les projets en développement, deux incarnent les nouvelles ambitions du studio.
D’un côté, Pénélope Spartà. Un film d’aventure destiné au cinéma, développé intégralement en interne.
« C’est le projet fondateur qu’on rêvait de faire au début : un grand film pour le grand écran, porté par des personnages puissants, une aventure graphique et narrative. »
Le projet est aujourd’hui en recherche de partenaires et de financements.
À l’opposé, Miss Saturne, mini-série de 10 épisodes de 10 minutes coproduite avec ARTE.
« Un projet ancré dans le Nice des années 80, avec une héroïne ado, une ambiance new wave, un ton plus rock, plus alternatif. »
Un format 2D, une fabrication plus légère, mais toujours une direction artistique forte.
Là encore, Fortiche ne produit pas en interne mais collabore avec d’autres partenaires.
La ligne est claire : chaque projet appelle une méthode différente, mais le niveau d’exigence reste constant.

Naviguer dans un secteur en mutation
Interrogé sur la conjoncture, Hervé Dupont ne se voile pas la face : ralentissement du marché, incertitudes à Hollywood, mutations des plateformes, arrivée de l’IA… « C’est une période de remise en question. Il faut se demander ce qu’on garde, ce qu’on réinvente. »
Mais loin d’un discours inquiet, il y voit une opportunité. « Plus il y aura d’IA, plus il faudra de l’humain. C’est une conviction que j’ai. » Pour lui, la créativité ne doit pas seulement s’exprimer dans l’œuvre, mais aussi dans la manière de produire, de financer, de diffuser. Le studio explore déjà d’autres canaux, d’autres formats, d’autres manières de faire circuler les récits.
Un conseil aux jeunes pros
Pour les jeunes qui rêvent d’entrer dans le secteur, le message est net : les idées ne suffisent pas. Ce qu’il faut, ce sont de bons professionnels. « Quelqu’un disait un jour : “nos placards sont pleins de bonnes idées. Ce dont on a besoin, ce sont de bons collègues pour les réaliser.” Je trouve ça très juste. »
Il insiste sur l’importance des qualités humaines : curiosité, rigueur, capacité à s’adapter à une vision qui n’est pas la sienne. « Ce qu’on attend d’un jeune pro, ce n’est pas une révolution graphique, c’est qu’il sache s’intégrer, travailler en équipe, comprendre les enjeux d’un projet. »
Le diplôme atteste de compétences techniques. Mais la vraie formation commence au contact du monde du travail.