Un court-métrage au ton décalé
Refusant de se déchausser, ce pied-tendre à l’air benêt se retrouve traqué par l’entièreté de la région, dans un court-métrage rocambolesque qui n’a rien à envier aux cartoons les plus endiablés de l’âge d’or d’Hollywood. Jeff réussira-t-il à abandonner ses bottes, et accepter la différence qu’il cache sous ces accessoires si convoités? C’est ce que vous découvrirez dans cette chevauchée drôlatique, signée ESMA.
Un film taillé par les mains expertes de Hugo Boyer, Maëlle Degremont, Corentine Dereli, Camille Deremy, Germain Joulaud, Roman Perrin, Jiaqi Zhang et de Jules Nouvelot-Giron, qui a accepté de nous partager son expérience sur ce projet ambitieux, film de fin d’études de son cursus d’animation 3D.
Avec lui, nous revenons sur les défis inhérents à cette production, et ceux d’un secteur en pleine mutation.

Pousser sa préparation pour produire sur des bases solides
Ce n’est pas un secret, la réalisation d’un court-métrage d’animation se prépare bien avant la première image animée. L’équipe de Boots and Bounties l’a bien compris, et a soigné sa phase de préproduction pour se garantir le plus de fluidité possible durant les étapes qui allaient suivre.
“Le storyboard a été retravaillé de nombreuses fois pour s’adapter au scénario”, souligne Jules Nouvelot-Giron, co-réalisateur storyboard, animation, layout et montage. “Ce storyboard a d’ailleurs très vite été adapté en animatique, pour éviter toute erreur de raccord.”
Dans un film au rythme effréné s’inspirant du comics et de la bande dessinée pour sa mise en scène, il est en effet essentiel de pouvoir anticiper les évolutions narratives, la durée et supprimer les plans qui ne serviraient pas directement le récit.
“Durant ce processus, nous nous sommes longuement questionnés sur la mécanique des cases, afin qu’elles soient utilisées de manière judicieuse et claire. Il y a eu de nombreux essais afin de définir les règles auxquelles elles obéissent, mais finalement et malgré quelques coupures, cette animatique très aboutie et déjà mise en mouvement nous a fourni une base solide durant la production, induisant un nombre limité d’itérations.”

Une animatique qui, c’est assez rare pour le souligner, a été travaillée directement dans le logiciel de montage prévu pour la production. De sorte que les plans étaient déjà timés et en place, prêts à être remplacés par les plans finaux. “Ce travail fait en amont a permis une certaine stabilité autant pour nous que pour notre compositeur, qui n’a pas eu à recaler la musique à d’innombrables reprises. Merci d’ailleurs à Bastien Nectoux pour son superbe travail, les thèmes qu’il nous a composés me sont restés en tête.
L’editing a aussi servi pour ajuster le travail d’assemblage des cases fait en compositing, lorsque cela était nécessaire”, ajoute Jules Nouvelot-Giron, responsable du montage sur cette production.

Des personnages inspirés, et des influences limpides
Comment réinventer le western en animation, tout en mélangeant les styles 2D/3D et avec un ton résolument moderne et comique? C’est là tout le défi de Boots and Bounties, un défi relevé par l’équipe grâce à des influences fortes, puisées dans l’histoire moderne de l’animation internationale.
C’est en effet de ces influences que se revendique Jules Nouvelot-Giron, citant d’une part Le Monde Incroyable de Gumball, série Cartoon Network des années 2010 créée par Ben Bocquelet, et de l’autre les personnages d’Illumination devenus iconiques, les Minions, dont on peut retrouver l’influence dans le design des personnages grotesques de Boots and Bounties.

“Au départ”, précise Jules Nouvelot-Giron, “nous avions l’intention de mettre en scène des personnages féminins. Mais, suite à l’avis de notre professeure de scénario et d’autres élèves, nous avons changé de genre afin d’éviter que l’humour ne soit perçu comme moquerie misogyne.”
De deux cow-girls et un shérif, l’équipe a ainsi transformé ses personnages principaux pour créer cette rivalité entre un shérif “droit dans ses bottes” (sans mauvais jeu de mots) et Jeff, parvenu néanmoins bien chaussé.

Un choix qui s’avère payant, permettant à l’humour d’habiter chaque scène de ce film au rythme trépidant.
“D’un point de vue technique, cela a représenté énormément de travail, car nos personnages devaient être facilement modulables, afin de pouvoir être dupliqués en figurants, tout en étant extrêmement flexibles pour permettre un maximum de déformations. Le travail sur le rigging a été très important, et s’est adapté au fur et à mesure de la production à des besoins sans cesse grandissants.”
Des défis techniques importants relevés par une équipe soudée

Pour l’équipe, ce projet a été l’occasion de mettre en application les nombreux enseignements de leur formation en animation 3D, mais aussi d’en identifier les lacunes, qui ont dû être apprises sur le vif.
“N’ayant eu aucun cours de layout durant tout notre cursus de cinq ans, cette étape a été un vrai challenge”, se souvient Jules Nouvelot-Giron.
“Le nombre de plans que nous avions prévu, ainsi que la complexité du système de cases de BD (avec des perspectives différentes, mais interagissant entre elles) a représenté un travail gigantesque, et long, qui nous a poussé à trouver des mécaniques de logiciels uniques et à utiliser différents moteurs de rendu pour optimiser nos scènes au maximum.
Nous avons également changé la nomenclature et l’organisation de nos caméras, à cause du système de cases, ce qui a causé quelques difficultés.”
Mais le réel défi a été le réalignement du projet, lorsque l’équipe a choisi de passer d’une direction artistique mêlant CGI et effets bande dessinée à une approche 100% cell-shading. “Cela nous a mené à passer de Renderman à Arnold pour nos rendus, et il a fallu quasiment repartir de zéro en termes de DA. Malgré tout, l’équipe a fourni un travail énorme pour réussir ce tour de force, et a su relever les défis multiples posés par ce projet.”
Avec des rigs déjà complexes, certaines scènes se sont en effet rapidement révélées impraticables, surtout dans les vastes espaces extérieurs. Un constat qui est apparu dès les premières itérations, et qui a également poussé l’équipe à basculer de Renderman à Arnold, plus flexible et adapté aux besoins de cette production particulière.
“Cela nous a obligé à remplacer nos instances en standings lors du changement, mais nous avons pu obtenir des scènes ultra légères pour chaque séquence et shots. Une transition grandement facilitée par différents scripts développés par un membre de notre équipe. Dernier défi, et pas des moindres : nous avons eu beaucoup de problèmes avec la bouche de notre personnage principal, à cause d’une feature qu’au final nous n’avons jamais utilisé”, conclut Jules Nouvelot-Giron.
“Se créer un réseau, c’est crucial”
Malgré l’énergie et le travail accompli, Jules Nouvelot-Giron porte un constat pragmatique sur ce projet, dans lequel il a investi énormément. S’il fallait recommencer, il ne fait aucun doute que l’ancien étudiant mettrait aujourd’hui encore plus de folie et d’inventivité dans ce projet.
Aujourd’hui, Jules insiste principalement sur l’importance de développer en parallèle son réseau professionnel, selon lui encore plus déterminant que le court-métrage de fin d’études. Dans un secteur où les débouchés sont fortement impactés par les évolutions technologiques (dont l’IA), Jules Nouvelot-Giron souligne l’importance de ces contacts, cruciaux pour décrocher un poste et accéder à ce secteur.
Son conseil aux étudiants ? Miser sur la clarté du scénario. Un récit simple et fort permet de concentrer l’énergie sur l’animation et de créer un court-métrage marquant, tout en profitant pleinement de l’aventure humaine qu’offre ce projet collectif.
Pragmatique, Jules Nouvelot-Giron l’est sans aucun doute. Mais malgré ses retours assez sévères sur son projet, le travail accompli sur ce film mérite de s’y arrêter, car l’investissement de cette équipe transparaît dans la qualité singulière de cette production. Un film jubilatoire qui n’a pas froid aux yeux, et que l’on vous invite à découvrir sans tarder. Boots and Bounties poursuit actuellement son parcours en festivals.
Découvrez le film Boots and Bounties, disponible dans son intégralité sur la chaîne YouTube ESMA Movies :
