D’architecte à consultant et formateur pour Netflix, Animal Logic et Epic Games, la carrière de Mark Flanagan est tout sauf conventionnelle.
Pourtant, si vous y regardez de plus près, il est facile de tracer les lignes directrices qui gouvernent les choix de ce touche-à-tout australien, artiste 3D devenu spécialiste dans l’accompagnement des talents de l’animation de demain.
Aujourd’hui Education Manager pour l’école australienne de VFX, animation et jeu vidéo CDW Studios à Melbourne, Mark Flanagan a accepté (entre deux masterclass qu’il encadre) de répondre à nos questions sur son parcours professionnel, ainsi que sur l’état du secteur et sur les perspectives qui s’offrent aujourd’hui à la jeune génération d’animateurs et artistes 3D.
Un échange pragmatique mais résolument tourné vers l’optimisme, et de nombreux conseils avisés à consommer sans modération.

Allier théorie et pratique, artistique et technique, la raison de l’excellence européenne
D’emblée, Mark souligne la chance qu’ont les étudiants européens de pouvoir évoluer dans l’écosystème de formation français, mais aussi danois, allemand ou tchèque. “Cela fait des années que je parle de l’écart de compétences qui mine le secteur en Australie. Je pensais à l’origine que cela était dû à un manque de connaissances techniques, mais il est évident pour moi aujourd’hui qu’en fait, ce sont les premières pièces du puzzle qui sont manquantes, à savoir la faculté d’observer le monde qui nous entoure, et la capacité d’aiguiser son sens artistique et sa créativité. À CDW, c’est ce sur quoi nous insistons désormais, et la différence se ressent fortement dans le taux de recrutement.”
Nouvelle en Australie, Mark souligne que cette vision mêlant stimulation de la créativité et développement de la maîtrise technique est déjà depuis longtemps intégrée dans les formations françaises en animation 3D et vfx, comme c’est le cas à l’ESMA.
Un état d’esprit qui va de pair avec la mise en pratique des compétences et des savoirs théoriques emmagasinés, essentielle selon lui pour se préparer aux réalités de l’industrie. En effet, l’animation est, pour Flanagan, un processus collaboratif par excellence. Pouvoir mettre son ego de côté, travailler de manière efficace en équipe est s’intégrer dans des dynamiques d’échange est donc crucial. Ce que le formateur met d’ailleurs lui-même en pratique au travers de nombreuses collaborations avec des écoles internationales.
Un secteur en pleine (r)évolution
Pour l’expert, malgré les défis que traverse actuellement l’industrie de l’animation (et de l’entertainment de manière générale), ce secteur reste solide. “Mon ressenti, c’est que nous avons été pendant longtemps convaincus que la croissance serait continue. Aujourd’hui, on constate qu’un certain plateau a été atteint, et que celle-ci n’est plus aussi forte, les studios restant à un niveau “stagnant” de production.
Mais ce niveau est plutôt élevé! À mon sens, les évolutions vont tendre aujourd’hui vers plus de contenus à destination de Youtube, de TikTok, ou au travers d’autres options de streaming. Bien sûr, la question du modèle économique est encore balbutiante, mais lorsque l’on analyse le succès de The Amazing Digital Circus, produit par le studio australien Glitch Studios, on se rend compte qu’un “hit” sur Youtube peut amener à une conversion sur Netflix, même si le contenu est très ciblé.
Ces niches, c’est ce vers quoi tend l’animation aujourd’hui, mais cela n’est pas restrictif, c’est pour moi plutôt un éventail d’opportunités qui s’offrent aux jeunes générations d’animateurs.”

Des technologies variées, mais toujours au service de la créativité
Fin connaisseur des dernières avancées technologiques en matière d’animation et d’effets spéciaux, Flanagan souligne néanmoins que celles-ci sont encore aujourd’hui des outils à mettre au service d’une création.
“La motion capture, par exemple, a permis de relever des défis techniques impressionnants dans Le Seigneur des Anneaux, ou encore dans Happy Feet. Mais in fine, ce sont les artistes 3D et les animateurs qui ont insufflé leur créativité à ces personnages.


Bien sûr, la performance d’Andy Serkis en Gollum était impressionnante, mais pour avoir cotoyé des personnes ayant travaillé sur le projet, il n’y a qu’une infime partie de celle-ci qui a été transposée dans le résultat final!
C’est bien aux animateurs que l’on doit d’avoir donné vie à Gollum.
La motion capture, selon moi, c’est l’évolution logique de ce que les animateurs faisaient déjà, à savoir se filmer en mouvement avant de transposer ceci en animation. Mais cela reste un outil.”
C’est également le même regard que pose Mark Flanagan sur les outils de temps réel comme Unreal Engine, mis au service d’une créativité artistique pour aider les différentes phases du projet. Des logiciels et des méthodes qui démocratisent en quelque sorte l’animation, permettant à de nouveaux créateurs d’émerger et de mettre leurs idées en images.
“Car ce sont bien les idées qui restent principales”, précise l’expert. “C’est pourquoi je pense que l’IA générative, quelle que soit sa qualité, ne pourra remplacer les émotions qu’un humain peut insuffler dans un personnage, dans un récit, dans un univers. En tant qu’êtres humains, ce qui nous intéresse, c’est de sonder l’âme, comprendre l’autre, qu’il soit réel ou imaginaire. Et cette âme, elle ne peut être créée par IA, une avancée technologique qu’on se précipite peut-être un peu trop vite à adopter.”
Une technologie qui, selon Flanagan, devrait rester subordonnée à la créativité, mais permettant de débloquer de nouvelles formes de création. Et ce, quel que soit le secteur où l’animation est utilisée.
Des opportunités multiples
Architecte à ses débuts, Flanagan insiste également sur la multiplicité des secteurs où l’animation et les vfx sont aujourd’hui utilisés. “Pour être honnête, j’ai appris plus sur l’architecture en me formant à l’animation 3D que dans toute mon expérience préalable. La capacité à façonner l’espace, créer des textures et des éclairages est un réel atout dans ce métier, mais dans bien d’autres domaines également.”
Et le formateur de citer l’importance de l’image 3D dans le monde de la mode aujourd’hui, les jumeaux numériques utilisés dans l’industrie, ou encore le monde des jeux de hasard, une porte d’entrée très importante pour les personnes souhaitant travailler dans l’industrie du jeu vidéo. “Je ne suis pas un défenseur de ce type de produits, loin de là, mais si cela vous permet de faire vos armes en tant que programmeur, game designer ou 3D artist, foncez. Cela fera une ligne sur votre CV, et cela vous permettra également de mettre le pied dans l’industrie.”
Vous l’aurez compris, les opportunités sont, selon Flanagan, nombreuses et variées pour celles et ceux pouvant faire preuve de pragmatisme et d’audace. “C’est quelque chose qui doit être encouragé par les écoles et compris par les étudiants. Vous n’êtes pas obligés de travailler pour Dreamworks, Disney ou Pixar pour avoir “réussi”. Vous pourriez travailler pour BMW, Jean-Paul Gaultier, ou bien d’autres marques tout aussi prestigieuses, qui se reposent sur l’animation aujourd’hui pour se différencier.”
“Derrière un bon projet, il y a surtout une bonne équipe”
Pour Mark Flanagan, ce qui fait un bon professionnel aujourd’hui, encore plus que ses qualités artistiques et techniques, c’est le fait qu’il soit agréable de travailler avec lui. “Pour le dire très franchement, personne ne veut travailler avec un con, même un con bourré de talent. Et arriver dans un nouvel emploi pour tenter de tout changer et d’imposer son point de vue, c’est la meilleure manière de ruiner sa carrière. S’intégrer dans un studio, cela veut dire être autonome, flexible, mais aussi capable de recevoir du feedback sur votre travail sans le prendre personnellement. Ce n’est pas un affront personnel de recevoir des retours sur ce que vous avez produit, au contraire. Quand vous collaborez à une production, ces remarques sont faites pour améliorer l’ensemble du projet, ce n’est pas à propos de vous. C’est pour cela que j’insiste toujours auprès des étudiants : vous aurez un entretien sur base de vos compétences, vous serez engagés sur base de votre humanité, et votre capacité à vous intégrer dans la culture d’entreprise du studio, et à travailler en équipe.”
Pour enfoncer le clou, le formateur conseille également aux aspirants animateurs de préparer au maximum leurs candidatures, non seulement pour connaître l’entreprise qu’ils ciblent, mais aussi pour éviter de se retrouver dans un endroit qui ne leur correspond pas.
Pour lui, c’est l’équipe qui compte avant même le projet. “Une bonne équipe peut avoir un impact énorme et transformer un projet médiocre en un résultat brillant. Une mauvaise équipe détruira jusqu’à la meilleure des idées.”
Quels conseils pour les étudiants qui se lancent aujourd’hui sur le marché de l’emploi?
Pour Mark Flanagan, il est essentiel de ne pas se montrer trop tâtillon sur le premier emploi.
“C’est le plus difficile que vous aurez à décrocher”, souligne le formateur.
“Donc si vous avez une opportunité, saisissez-la. Ce n’est peut-être pas le job dont vous rêvez, mais cela vous permettra de vous forger une première expérience, et d’engranger les petites victoires. C’est en construisant sur celles-ci que vous atteindrez vos ambitions. Ne laissez pas tomber trop tôt.
Je vois avec tristesse de nombreux étudiants qui abandonnent après un an parce qu’ils n’ont pas été “dénichés” par des majors, parce qu’ils n’ont pas réussi à atteindre instantanément le plus haut niveau de l’industrie. Ne vous laissez pas berner par les success stories, il faut énormément de travail pour arriver à ce type de projets et d’emplois. Vous devez être patients, tout en restant ouverts aux opportunités, capables de prendre des risques, et à l’écoute du secteur.”
Autant de qualités qui permettront au jeune professionnel de développer son réseau, acquérir de nouvelles compétences et de construire un portfolio solide.
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