Un studio multi-projets, ancré dans le concret
Au quotidien, Supamonks multiplie les formats. À Montpellier, l’équipe travaille sur le long-métrage La Fille dans les nuages, la série Tuff Pomme pour Mediawan, la saison 3 de Pompom Ours, mais aussi sur des projets dans le jeu vidéo, comme Absolum — dont ils ont assuré toute la direction artistique — ou Merge Mansion. Du côté de Paris, un jeu soutenu par la région Île-de-France, est en développement, mais confidentiel.
Le studio continue également à produire pour des marques, notamment Quick, client historique depuis 12 ans : « On vient de livrer notre 118e spot », précise Pierre. Un chiffre qui dit beaucoup sur la stabilité et la régularité du studio, malgré les aléas.
En parallèle, Supamonks développe des déclinaisons de sa série Les Métiers, initialement produite pour France Télévisions, avec des adaptations prévues pour des secteurs comme le bâtiment, l’énergie ou l’hôtellerie.

Et surtout, ils organisent leur 21e Super Résidence, un programme dédié aux jeunes créateurs : « On met à disposition le matériel, les licences, les locaux… mais surtout le temps. Et aujourd’hui, le temps, c’est ce qu’on a le plus de mal à dégager. »
Le lien humain avant tout
Quand on lui demande quel projet l’a le plus marqué, Pierre ne cite ni un film, ni un jeu, ni une campagne. Il partage plutôt une histoire simple : celle d’un graphiste du studio qui souhaitait faire sa demande en mariage dans de bonnes conditions. Supamonks lui a donné un coup de pouce.
« Ce n’était pas une période particulièrement facile pour nous, mais ça comptait pour lui. On a trouvé normal de l’accompagner. Il a pu offrir la bague de ses rêves à sa future épouse »
Pour lui, ce sont ces moments-là qui donnent du sens au travail. Le studio accompagne aussi ses collaborateurs dans leurs recherches de logement ou de crèche, adapte les horaires si besoin, soutient les initiatives écologiques en interne. Il ne s’agit pas d’un plan RSE sophistiqué, mais d’un engagement de terrain, constant.
Un environnement plus exigeant
Le contexte économique, lui, s’est durci. Pierre parle d’une année 2023 marquée par une rupture brutale. Après une période de forte demande post-COVID, les projets se sont pour certains stoppés net. Certaines grandes entreprises du secteur ont d’ailleurs récemment fermé, comme Technicolor ou Cyber Group Studios, entraînant des effets en cascade sur tout l’écosystème.

« On a embauché, investi, organisé nos flux en pensant que la demande allait durer. Et tout s’est arrêté ou presque. »
Dans ce contexte, les jeunes diplômés peinent à s’insérer. « Il y en a trop par rapport au volume de production. Et les seniors cassent leurs prix pour rester dans la course. Les juniors sont bloqués à l’entrée. »
Il ne s’agit pas pour lui de noircir le tableau, mais d’inviter à regarder les choses en face : les dynamiques de recrutement, de financement, et de valorisation du travail évoluent vite, et pas toujours en faveur des plus jeunes.
Intégrer l’IA sans en faire un totem
Sur la question de l’intelligence artificielle, Pierre est clair : elle fait déjà partie du quotidien. « On s’en sert pour générer des décors, automatiser des tâches administratives, tester des idées. » Selon lui, les métiers de la préproduction, comme le concept art, sont les plus exposés.
Mais il n’est ni catastrophiste ni technophile à outrance. Il voit dans l’IA un outil de plus, à condition de l’intégrer intelligemment, et surtout, de ne pas s’y réduire. Le vrai enjeu, selon lui, est de rester capable de proposer quelque chose de singulier, humainement et artistiquement.
Les compétences qui font la différence
Pour lui, un bon profil, aujourd’hui, ce n’est pas juste une note ou un diplôme. « Ce que je regarde, ce sont les projets personnels. Les choses qu’on fait en dehors de l’école. Et puis, évidemment, la rencontre. L’envie, la curiosité, l’humilité. »
Il insiste aussi sur l’adaptabilité : savoir travailler dans différents formats, comprendre les attentes des clients, aller chercher des références hors du champ de l’animation. « Ce qu’on fait aujourd’hui ne sera plus ce qu’on fera demain. Il faut l’accepter et s’y préparer. »

Repenser la formation pour rester en phase
Pierre plaide pour une formation plus agile. Selon lui, un bon parcours, c’est trois ans d’école, puis deux ans passés en studio, en immersion réelle. Il souligne l’importance d’intégrer l’IA dans les cursus , non pour former des opérateurs passifs, mais pour éviter qu’ils sortent de l’école déjà en décalage.
Il n’est pas question de réduire l’ambition des formations, mais de les rendre plus connectées à la réalité du marché.
Une industrie en transformation

Pierre observe une polarisation progressive du marché. « On voit émerger deux grandes catégories : les productions haut de gamme, portées par des équipes expérimentées, et les contenus plus simples, rapides, souvent assistés par IA. Entre les deux, ça se réduit. »
Pour les studios, cela implique de faire des choix : rester sur des projets complexes, différenciants, ou s’adapter à une demande de contenu plus rapide, plus accessible, mais aussi plus standardisée.
Le savoir-faire français en question
Les artistes français sont réputés à l’étranger, mais cela ne suffit pas. « On a du mal à exporter. On a du talent, mais pas toujours la culture business qui va avec. Et nos coûts restent élevés. » Des dispositifs comme le crédit d’impôt international aident à compenser ce décalage, mais la concurrence, elle, ne ralentit pas.
Une direction, même sans certitude
Quand on lui demande où il se voit dans cinq ans, il reste sobre. « On verra. Tout dépendra des projets, des financements, de notre capacité à bouger vite. Rien n’est figé. »
C’est cette capacité à s’adapter, à remettre en question ses habitudes sans perdre ses repères, qui lui semble la plus précieuse. « Il ne faut pas attendre d’avoir toutes les réponses pour avancer. »
Conclusion — Travailler sérieusement, sans se prendre au sérieux
Pierre ne cherche pas à donner de leçons. Il propose une manière de faire les choses, avec rigueur mais sans prétention. Ce qu’il défend, c’est une posture : être solide sans être rigide, rester humain sans perdre en exigence, continuer d’apprendre, de tester, de douter aussi, quand c’est nécessaire.
Aux étudiants qui cherchent leur place, il conseille d’aller au-delà des attendus scolaires. De cultiver leurs références (graphiques, littéraires, etc.), de faire des projets en dehors du cadre, d’apprendre à faire seul, puis en équipe. Et surtout, d’avoir un plan B.
Pas parce que l’avenir est fermé. Mais parce qu’il est ouvert, et que pour l’explorer, il faut plusieurs chemins possibles.