Coulisses de la semaine

Le Chevalier Cape Nuage : Une aventure humaine autant qu’un conte fantastique

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13 minutes de lecture

Comment se réinventer dans un monde où est banni l’imaginaire? Peut-on obéir à une autorité qui bannit l’imagination? Et quel avenir peut-on espérer dans un monde sans récits, sans histoires?

Un Chevalier dans un monde aux contes interdits

Autant de questionnements qui parcourent ce subtil court-métrage qu’est Le chevalier cape nuage, réalisé par sept étudiantes de l’ESMA et sélectionné dans de nombreux festivals de court métrage et d’animation jeune public.

Dans un monde où les contes sont interdits, Nuage, un jeune chevalier, ignore l’ordre de sa reine et sauve une illustration.

Contraint de fuir face à la menace grandissante qui pèse sur lui, le chevalier découvre le pays des Contes et se dirige vers une tour lointaine pareille à celle de l’illustration qu’il a sauvé…

Avec Marine Gautier, Elise Hauton, Chanisse Langereau , Maé Murareci-Flaujat, Lucie Ouvrard, Fanon Rannou et Maya Van Cuyck, nous vous proposons de découvrir la genèse de ce projet, ses coulisses ainsi que les nombreux défis techniques et artistiques relevés par cette équipe pour mener leur film à bien.

Pouvez-vous nous expliquer comment est né ce film?

C’est Marine Gautier, porteuse de l’idée originelle, qui nous a proposé ce projet.

Plus jeune, elle racontait à sa famille l’histoire d’un chevalier doté d’une cape faite de nuages et qui partait à l’aventure dans un récit initiatique.

Un chevalier amnésique en quête d’identité pensant devoir sauver une princesse pour accomplir sa destinée, pour réaliser in fine être lui-même la princesse, à qui on avait menti.

Cette réflexion sur “qu’est-ce qu’une princesse” et “qu’est-ce qu’un chevalier” nous a servi de base pour aborder les thèmes de l’identité, de l’émancipation et des mensonges.

Nous avons développé l’univers de Marine en utilisant la thématique familiale pour lier ces sujets, créant une relation mère/fille entre le chevalier et la reine devenue autoritaire, qui avait fini par effacer l’identité de son propre enfant.

Comment avez-vous développé votre projet ensuite? 

Pour poursuivre le projet, il a fallu trouver des motivations pour les personnages et une logique à cet univers. Nous avions envie de raconter tellement de choses, mais il fallait faire des choix pour les besoins d’une production réaliste.

Et nous avons continué à les faire tout au long du processus. Le plan final lui-même n’était pas encore acté deux mois avant la fin de la production, car nous avions des désaccords sur l’émotion finale que nous voulions procurer aux spectateurs !

Qu’est ce qui vous a guidé dans vos choix narratifs ou esthétiques?

L’envie de se réapproprier les contes. Nous voulions remettre en question les normes de genres et les stéréotypes du “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”.

En ce sens, les créations Disney récentes nous sont très vite venues à l’esprit, et nous avons beaucoup étudié leur manière de moderniser les récits ! 

Certains de leurs films comme Rebelle, La Belle au Bois Dormant, ou encore Encanto nous ont servi de référence pour la dynamique conflictuelle entre notre protagoniste et sa mère.

Nous avons ensuite développé notre propre histoire, avec toujours cette envie que chaque spectateur puisse interpréter le récit en fonction de la thématique qui a le plus résonné en lui.

Visuellement, le film devait avoir l’air de sortir tout droit d’un livre de contes, tout en mélangeant la 3D avec des textures traditionnelles crayonnées et des effets d’aquarelle.

Marine avait déjà réalisé plusieurs illustrations avant que le film ne passe en production, inspirée par Jeremy Paillotin.

Les couleurs vives et compositions travaillées nous ont guidées dans nos recherches de références et réalisations de keyshots, idem pour les textures, avec des artistes comme Chris Hong, Andrea Sio, Lorenzo Mattotti…

Comment avez-vous conçu vos personnages principaux ?

Pour laisser libre court à notre créativité, chaque dessinatrice du groupe s’est essayée à des tests de silhouettes, recherches d’armures, et ce aussi bien en traditionnel qu’en digital et dans tous les styles graphiques.

Nous mettions régulièrement nos recherches en commun pour décider quels croquis fonctionnaient le mieux, ce qui ne nous convenait pas, jusqu’à atteindre une base semi-réaliste expressive et reconnaissable. Maya s’est ensuite chargée des designs finaux.

Ses croquis ont beaucoup évolué à mesure de retours du groupe et des professeurs, mais aussi de l’avancement du scénario et du storyboard qui définissaient de mieux en mieux la personnalité des personnages.

Poster

Sans pouvoir compter sur leurs visages dissimulés, nous avons donc tout misé sur l’expressivité corporelle pour mettre en évidence le caractère de chaque personnage et les rendre tangibles.

D’un point de vue narratif, nous devions trouver des actions parlantes qui permettraient au spectateur de s’identifier aux personnages, et ce en cinq minutes à peine.

Mettre en évidence la douleur de la reine et sa dureté dans sa façon de se mouvoir, et à l’inverse montrer l’envie de Nuage pour le monde des contes sans montrer d’étincelle dans ses yeux.

Le tout sans tomber dans du cartoon exagéré qui irait à l’encontre de notre propos sérieux. Un vrai défi pour toute l’équipe.

Et qu’en est-il de votre univers et de la direction artistique du film ?

Nous voulions nous inspirer des contes pour les lieux en y ajoutant notre vision colorée. Nos personnages devaient évoluer dans des lieux emblématiques de contes comme le château, la forêt enchantée, la tour de la princesse, tout en reprenant ces codes pour servir notre intention : le château resplendissant est ainsi devenu un château dystopique et négligé ne laissant que paraître le feu et la froideur d’un lieu bien moins vivant qu’avant.

Ce n’est que dans des lieux d’espoir comme la cachette de Nuage et l’extérieur du château que des couleurs plus douces comme le jaune, le rose et le violet, qui rappellent le rêve et la féerie des contes, apparaissent. 

Nous retrouvons cette palette après un interlude de liberté dans la forêt. Dans la tour, notre intention était de faire découvrir un lieu chargé d’histoire, mais qui signerait aussi la fin d’une quête pour notre personnage principal.

L’ambiance est éthérée, vaporeuse; nous avons voulu rendre compte d’un temps qui est passé, qui est révolu. L’évolution de la couleur dans la tour, du crépuscule à la nuit, témoigne de la fin d’un arc, d’une relation qui se termine.

L’univers graphique, comme nous l’avons dit plus haut, est lié à la représentation des lieux iconiques mais aussi au désir de référencer les contes, avec des illustrations similaires à celles de Gustave Doré.

En croisant une texture crayonnée avec l’idée de trame, nous avons souhaité créer un trait unique en mettant en place des ombres colorées et la disparition quasi-totale de la couleur noir a l’écran.

Nous avons dès lors pu travailler des traits de couleur identiques au dessin de base, pour donner plus de dimension au textures.

Nos plus grandes influences ont été des peintres de l’impressionnisme comme Monet ou Renoir. Nous avons étudié la couleur, que ce soit dans la lumière ou dans les ombres, ainsi que le travail sur la perspective et les trames.

Au-delà de ces influences déjà citées, nous avons puisé dans le monde de la BD avec Cyril Pedrosa, dans le jeu vidéo avec Dordogne et son rendu aquarelle ainsi qu’au cinéma avec Spider-Man: Across the Spider-Verse, et plus particulièrement dans l’univers créé pour le personnage de Gwen Stacy.

Quelles ont été les principales difficultés techniques rencontrées ?

Tout d’abord, on a dû réfléchir à comment représenter avec notre style graphique les matériaux réfléchissant la lumière comme le verre ou le métal. Le métal composant majoritairement nos personnages, ce sont les premières recherches de textures que nous avons effectué en 3D.

Au scénario, nous avons relevé ce qui pouvait devenir plus tard plusieurs gros défis techniques comme les FX allant avec la perte/disparition de l’armure pour nos personnages et la longueur du plan séquence du voyage. En cours de production, nous avons découvert que la texture de nos décors créait des effets visuels dérangeants lors des mouvements de caméra en 3D.

La cape de notre protagoniste fut aussi un challenge, car nous souhaitions l’avoir en à-plat sur l’image finale, l’animation devait donc apporter des shapes lisibles et expressives.

Notre dernier problème fut la création des flammes avec une intention dynamique, le dilemme était de savoir si elle serait réalisée en 2D ou en 3D.

Poster

Qu’est-ce qui vous a permis de solutionner ces difficultés, et quels outils avez-vous utilisés pour y parvenir?

Pour les textures réfléchissant la lumière, nous avons fait un gros travail de développement du pipeline de shading et de compositing, avec la majorité des textures faites en utilisant des nodes procéduraux, ou bien en peignant les maps à la main sur Mari ou Substance Painter.

De nombreuses recherches à l’animatique nous ont permis d’économiser l’utilisation des FX en les réduisant à un plan, et le plan séquence du voyage fut raccourci tout en gardant une bonne dynamique. 

Pour les problèmes de rendu d’image, nous avons développé un rig de caméra 2D dans Maya utilisant le même principe que la caméra multiplane dans une animation 2D. Ainsi, nous avons un décor en 3D pour la profondeur et un mouvement 2D (limitant les mouvements de caméra à des pans), le tout offrant une parallaxe pertinente.

La cape, quant à elle, a été modélisée sous forme de tube et a été animée selon sa silhouette vue depuis la caméra, comme on pourrait le faire en animation 2D.

Il y a ensuite eu un gros travail de dessin par-dessus l’image finale pour retoucher certaines poses et donner un effet vibrant à la cape.

Comme notre film tend vers une direction artistique 2D, nous avons poussé les curseurs et le feu fut animé entièrement en 2D sur Procreate et Animate.

Comment s’est passée la répartition des rôles et le travail en équipe ?

Au début de la pré-production, nous n’avions pas vraiment de rôle attitré. Nous nous sommes lancées à bras le corps dans les recherches sans penser à structurer le travail fourni. Après avoir divagué et amassé plein de recherches, nous avons fini par avoir chacun notre rôle dans la pré production puis dans la production.

Malgré des profils généralistes rendus et animation, nous avons pu sortir des référents par pôle de travail. Si la répartition s’est révélée facile, les choses étaient plus compliquées du côté travail en équipe. 

Chacune avait des attentes différentes pour le film, et ce fut difficile pour notre groupe de se mettre d’accord sur la qualité du travail attendu, ainsi que sur le look final.

Cela a pu amener plusieurs personnes à se surmener en déséquilibrant les charges de travail. La volonté de satisfaire tout le monde et d’élever le projet à un certain standard a amené à des discussions difficiles qui nous ont ralenti sur le développement du film. Nous avons voulu nous adapter aux particularités de chaque membre du groupe, ces mesures ont été plus ou moins concluantes, mais nous avons toujours été en quête d’une amélioration dans nos relations au travail.

Qu’est ce qui vous a permis de mener ce projet à bien?

L’entente globale du groupe, ainsi que les amitiés déjà présentes et celles qui sont apparues. Ces relations nous ont donné l’opportunité de discuter plus intimement de certains problèmes qui nous ont tracassé. 

Choisir une personne chargée de l’organisation fut aussi crucial pour la réussite de la production, chose que nous avons mis longtemps à appliquer.

Fanon, qui s’est chargée de gérer les deadlines pour le bon déroulé du reste de l’année, est passée voir chaque personne en discutant avec elle pour adapter au mieux le planning aux capacités de chacune, tout en tenant en compte du travail nécessaire pour la production.

Gérer les plannings de tout le monde n’était pas facile, mais cela a permis à l’équipe d’avancer à bonne allure et en étant consciente des limites de temps.

Qu’est ce qui vous rend le plus fières aujourd’hui lorsque vous revisitez ce projet? 

Nous sommes très fières de l’univers créé, nous trouvons le film beau et original, aussi bien dans son histoire que visuellement.

On a réussi à s’affranchir des sentiers battus pour tester quelque chose que nous ne pourrons probablement jamais réaliser une fois dans le monde du travail. Le film ressemble à son équipe, plein d’émotions et haut en couleurs !

Avec le recul, qu’est-ce qui vous a marqué durant ce processus?

Malgré tout, nous avons été marquées par les moments négatifs de la production, comme les réunions pour mettre les choses à plats qui dégénèrent ou alors des non-dits qui finissent par exploser. Ces moments font partie de chaque production et nous voulions en parler !

En moments plus positifs, on peut parler des fous rires impossibles à contrôler, lors des dernières semaines de production où la fatigue était à son paroxysme.

La dernière projection test au cinéma de Nantes était aussi marquante, c’est génial de voir l’aboutissement d’un an de travail sur grand écran !

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui réalisent aujourd’hui leur film?

Respectez-vous et acceptez que c’est un travail de groupe, vous n’avez pas toujours raison et vous ne serez pas souvent d’accord entre vous. Apprenez à faire des concessions et surtout, surtout, soyez conscients que le monde ne va pas s’arrêter de tourner parce qu’un shot n’est pas parfait ou qu’une ligne de dialogue pourrait être mieux.

Ce n’est pas la peine de ruiner votre santé mentale et physique pour ça ! Vous avez la chance de réaliser un film, c’est votre dernière année d’études, relativisez et profitez un maximum!

En alliant leurs capacités techniques à des influences variées, tout en faisant preuve d’une grande créativité, l’équipe de ce Chevalier cape nuage a montré toute la richesse que pouvait apporter une formation mêlant théorie et pratique comme celle de l’ESMA.

Un film qui gagne à être redécouvert à la lumière de ces coulisses éclairantes.

Découvrez le film Le Chevalier Cape Nuage, disponible dans son intégralité sur la chaîne YouTube ESMA Movies :

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