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“Ne pas avoir peur, et oser” : le conseil de Joe Azar, diplômé ESMA 2023 et Coordinateur de production à Toulouse pour TAT

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Diplômé en 2023, l’auteur-réalisateur-producteur franco-libanais Joe Azar est aujourd’hui chargé de production et coordinateur des départements Dev/Tech/IT au sein du prestigieux studio toulousain TAT.

Un début de carrière sur les chapeaux de roue pour cet étudiant qui, au fur et à mesure de sa formation à l’ESMA, a développé ses compétences techniques autant que sa capacité à coordonner des équipes. 

Gestionnaire de production sur son court métrage de fin d’études All Aboard!, c’est cette fibre managériale que Azar a continué à explorer au sein de TAT, et au travers d’une formation complémentaire en management.

Assistant réalisateur du récent Falcon Express avant d’accéder au poste qu’il occupe aujourd’hui, Azar est également enseignant en scénario et en production, notamment à l’ESMA, et réalise ses propres courts métrages indépendants par ailleurs. 

C’est avec le sourire que ce touche-à-tout a pris le temps d’échanger avec nous autour de son parcours estudiantin et professionnel.

Avec beaucoup de bienveillance, il partage ses ressentis et son expérience sur un secteur dans lequel il navigue avec toujours autant de plaisir.

Coordinateur de production, enseignant, producteur, réalisateur indépendant, comment faites-vous aujourd’hui pour jongler entre ces différentes casquettes?

Je dois avouer que cela me stimule. J’ai beaucoup d’envies, et cela se ressent également dans mon parcours.

Ce n’est pas le cheminement classique pour celles et ceux qui veulent faire de la réalisation, dans le sens où je cherche plutôt un chemin managérial et pas uniquement créatif. En sortant de l’ESMA, je me suis demandé : quel est le meilleur métier pour débuter dans cette voie, et c’est au travers de ce poste d’assistant réalisateur que ma carrière a commencé. 

Ces deux dernières années ont été très enrichissantes, même s’il est vrai que cela représente beaucoup de travail. Mais j’ai soif d’apprendre et de comprendre ce milieu et cette industrie, et je suis persuadé que pour devenir réalisateur, il est nécessaire de comprendre tous les rouages et les enjeux qui entourent ce type de créations.

Vous avez débuté votre carrière en tant qu’assistant réalisateur, pouvez-vous nous raconter comment vous avez décroché ce poste? Ce n’est pas courant d’arriver dès la fin des études à ce type de responsabilités!

Parfois, il y a des choses qui me dépassent, et il y a peut-être eu une sorte de “bonne étoile”, un bon poste au bon moment. Mais il y a aussi une question de compétences. Assistant réalisateur ou assistant de production, ce ne sont pas forcément des métiers vers lesquels on se dirige d’emblée, car c’est à la fois de l’animation mais aussi beaucoup de gestion managériale

C’est grâce à un de mes professeurs que je me suis renseigné sur ce poste, dont j’avais déjà vu passer l’annonce mais qui me semblait demander trop d’expérience. J’ai tout de même contacté le studio pour en savoir plus, et j’ai finalement postulé. 

Ce n’était pas gagné d’avance, mais une fois le processus enclenché, je me suis investi dans cette candidature, avec beaucoup de travail en amont, et des recherches entre les différentes phases d’entretien et de tests.

Au-delà de mes compétences techniques, j’ai beaucoup travaillé au feeling, en adoptant la méthode qui me semblait la plus pertinente, et qui a visiblement convaincu les recruteurs. Le fait que je sois à l’aise humainement parlant a également été décisif lors de l’entretien.

Au-delà de votre formation à l’ESMA, vous avez également suivi un cursus de management dans les industries culturelles. Qu’est-ce qui vous a poussé vers cette formation? 

À l’origine, j’ai intégré l’ESMA pour devenir animateur. Mais je me suis assez rapidement rendu compte que l’animation, ce n’était pas mon truc. Réaliser mes propres films, cela avait toujours été une sorte de rêve, mais paradoxalement je n’envisageais pas d’en faire mon métier. 

C’est sur les bancs de l’ESMA que cette flamme s’est ranimée, et c’est ce qui m’a mené à terminer cette formation.

Avec, en parallèle, cette envie d’en apprendre plus sur les différents aspects de la production d’un film, pour mieux comprendre les attentes d’un producteur. Au fur et à mesure de ce second Master, je me suis pris au jeu, et aujourd’hui je suis moi-même en charge de la production de certains projets avec des animateurs bénévoles, et je suis également producteur sur mes propres courts métrages. 

S’armer de ces connaissances et de ces compétences m’a permis de gagner en crédibilité, notamment dans la mise en place de dossiers de développement. C’est une vraie plus-value pour les producteurs. En animation 3D, il est essentiel de pouvoir raconter son histoire de la manière la plus directe possible, tout en ayant à l’esprit les contraintes techniques et financières du projet. 

Pour être honnête, je pense que ce sont des compétences qui peuvent être utiles à toutes celles et ceux qui souhaitent s’intégrer dans l’industrie. Comprendre les enjeux de la production, même si l’on ne travaille pas directement à un poste lié, est crucial pour pouvoir collaborer avec un studio, ou de manière plus large une équipe créative.

Cela fait deux ans que vous naviguez dans le secteur, comment celui-ci a-t-il évolué et quels sont les défis d’aujourd’hui? 

Il est certain que la pandémie a rebattu toutes les cartes de l’industrie, et que les actualités sont de moins en moins joyeuses. Le secteur vibre au rythme du monde qui nous entoure, à la fois d’un point de vue narratif que du point de vue industriel, mais il n’a jamais été facile de faire du divertissement. À chaque époque sa contrainte.

La différence, c’est peut-être que l’on communique plus sur le sujet, et que tout le monde est au fait de cette situation. Il y a moins de projets, moins de postes, et toujours plus de candidats, mais je suis convaincu que ce n’est que le creux de la vague. Certaines phases sont plus compliquées, mais l’animation n’a jamais été un secteur stable, et je trouve que l’on respire déjà plus qu’il y a deux ans. 

Ces épisodes sont selon moi essentiels pour que l’industrie se remette en question, et construise un demain plus durable, tant du côté humain que financier. 

Il n’est jamais agréable d’être dans une industrie en crise, mais c’est également l’occasion de questionner ce management, d’instaurer du changement, et d’aller vers un renouveau de l’animation. Tout en étant réaliste, je suis de nature optimiste. 

Qu’est-ce qui fait selon vous un bon professionnel de l’animation en 2025? 

Les soft skills, c’est la clé. Pour l’anecdote, je ne connaissais pour ainsi dire rien à l’animation lorsque j’ai intégré l’ESMA. Mes professeurs (qui sont aujourd’hui devenus des collègues) peuvent en témoigner, ce n’était pas gagné d’avance et la première année a été une épreuve. 

Ce qui a fait la différence, c’est d’une part le travail sans relâche et la détermination, et de l’autre le fait que humainement, cela se passait bien. Le travail en équipe, c’est pouvoir aider autour de soi, et cela comptait beaucoup pour moi. Je fais du cinéma pour connecter avec des gens, et je me rends compte aujourd’hui que c’est cela qui importe le plus à mes yeux. 

Les compétences techniques peuvent toujours s’améliorer, et cela demande un travail évident. Mais l’attitude de travail, aller voir les autres, demander de l’aide, communiquer, c’est essentiel. Et c’est à mon sens ce qui fait la différence : les studios recrutent des personnes avec lesquelles ils ont envie de travailler

C’est encore plus vrai en tant qu’assistant de production. Lorsque l’on recherche des créatifs, on va bien sûr consulter les bandes démo. Mais lorsque l’on recherche des équipes de production, c’est l’humain qui est au centre de l’équation. L’utilisation d’un logiciel, cela s’apprend.

En parlant de logiciels, comment les nouvelles technologies telles que l’IA s’intègrent dans votre manière de travailler? Est-ce une menace, ou un nouvel outil? 

C’est impressionnant, à la fois dans le sens négatif et positif. L’évolution est si rapide que cela vient chambouler non seulement des pratiques artistiques mais aussi des modèles économiques, sans compter les questions qui se posent sur la propriété intellectuelle, etc. Oui, c’est un outil puissant, mais c’est aussi un outil jeune, avec ses erreurs et ses flous, qu’il faut dès lors prendre en compte lorsqu’on l’utilise. Ce qui est sûr, c’est que cela ne va pas disparaître, car on ne peut pas nier que lorsque l’IA est bien utilisée, cela peut réduire les coûts et la durée de production tout en augmentant la qualité finale du projet. 

J’aime beaucoup dire qu’il ne faut pas avoir peur. Plus on a peur, plus on risque d’être paralysé. Or ce milieu est en constante évolution, et il faut pouvoir évoluer avec lui. 

C’est aussi un conseil que je souhaite donner aux écoles. Il faut pouvoir se réinventer, s’adapter, et rester dans l’ère du temps en termes d’outils et de logiciels. Tout en oubliant pas l’importance du facteur humain, et de la capacité à travailler en équipe. 

Aujourd’hui, je suis bluffé par ce qu’on arrive à faire avec le temps réel, surtout sur des projets de série où le budget est moindre que pour les longs métrages. Ces outils sont mis au service de la créativité, et peuvent être sélectionnés en fonction du type de projet, et des besoins de chaque production. 

Pour ma part, je n’utilise pas l’IA aujourd’hui car j’ai un attachement pour la fabrication artisanale d’images en 3D. Je ne sais pas comment cela va évoluer, mais je pense que garder le dialogue ouvert est primordial. Il y a autant de techniques que de projets, et si les personnes qui travaillent sur un projet sont alignées avec les outils qu’elles emploient, alors pourquoi pas? Il ne faut pas oublier qu’à la fin de la journée, l’animation reste une industrie qui doit être rentable.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent aujourd’hui intégrer cette industrie? 

Ne pas avoir peur, et oser. Pour celles et ceux qui débutent leurs études aujourd’hui, il n’est pas impossible que le secteur se soit transformé à nouveau quatre ou cinq fois d’ici la fin de leur formation. Oser aller à la rencontre de l’autre, découvrir, faire des erreurs est essentiel pour pouvoir ensuite tirer son épingle du jeu. Je suis un grand rêveur, mais cela ne veut pas dire que je n’ai pas traversé des périodes très difficiles moi-même. 

Ce qui me semble crucial, c’est de profiter à fond de cette expérience, tout en créant ce qui nous tient à cœur. En ce sens, le film de fin d’études est un terrain de jeu unique. C’est le moment idéal pour se donner à fond, et faire ce qui compte pour vous, tout en gardant en tête les contraintes techniques et la deadline. C’est une vraie aventure, et ce serait dommage de ne pas en profiter. 

Pour conclure, j’aimerais ajouter que la vie fait bien les choses, mais qu’elle ne les fait pas à notre place. Il faut se donner les moyens de ses ambitions, tout en sachant lâcher prise parfois.

J’ai rencontré beaucoup de gens qui se jettent la pierre dans des situations où cela ne dépendait en fait pas d’eux. Il y a la réalité du terrain qu’il faut garder à l’esprit, et faire la part des choses est essentiel.