Diplômé en 2005 de l’ESMA Montpellier, c’est au sein de nWave Pictures que Christopher Grao commence sa carrière en tant que texturing/shading artist sur ce qui allait devenir le premier long métrage du studio bruxellois, Fly Me to the Moon.
Vingt ans plus tard, rien n’a changé, ou plutôt tout a changé, tant pour l’ancien étudiant ESMA que pour nWave!
Après une carrière qui l’a amené à naviguer du texturing/shading au lighting en passant par le grooming, à des postes de lead puis de superviseur, c’est aujourd’hui en tant que directeur artistique / directeur de la photographie / CG supervisor que Christopher signe Hopper et le secret de la marmotte, onzième -déjà!- long métrage du studio qui a acquis une renommée internationale et emploie plus d’une centaine de personnes.

Alors que Hopper et le secret de la marmotte s’apprête à partir à la conquête des salles françaises, nous avons rencontré Christopher autour de cette production de haute qualité, où sa patte et sa passion se retrouvent dans chaque plan.
Sur Hopper, vous avez trois casquettes. Comment cela se traduit-il dans vos missions et votre quotidien?

En fait, mon travail en tant que DA / DOP / CG Sup consiste à faire le suivi artistique du projet en discussion avec le réalisateur Benjamin Mousquet, mais aussi à collaborer à la mise en place technique, et anticiper les solutions par rapport aux défis qui devront être relevés sur une production donnée.
C’est l’une de nos spécificités chez nWave, nous avons une organisation avec des effectifs plus réduits que des gros studios comme Pixar certes, mais cela nous permet de travailler de manière plus fluide, en reliant les postes, ce qui nous fait gagner beaucoup de temps.
Concrètement, j’ai donc agi du début à la fin du projet, dès le scénario pour pouvoir définir la direction artistique que nous allions prendre.
Avec Hopper, nous avions l’envie d’un univers de type médiéval, et c’est une donnée que nous devions prendre en compte pour la DA bien sûr, mais aussi pour le lighting, qui passe donc plutôt par des bougies.
Au-delà de ces aspects plus précis, mon travail consiste également à réfléchir aux scènes de foule, aux séquences plus complexes, et fixer les besoins de la production, toujours en lien direct avec le réalisateur.

Depuis combien de temps êtes-vous sur ce projet?
Un peu plus de trois ans. Ici, nos projets se déroulent sur une durée assez similaire, avec de manière générale six mois de préproduction, puis deux ans de réel travail sur le film, avant six mois de post-production. Pour Hopper, c’est en tout cas comme cela que s’est découpé le travail.
À quoi ressemble votre journée de travail?
Cela varie selon le stade d’avancement du film. J’ai la chance de travailler avec tout le volet design du projet, je regarde donc chaque matin tous les designs qui sont sortis, ainsi que le lighting une fois que celui-ci a été lancé. Honnêtement, c’est ce qui me plaît le plus, ce côté visuel, j’aime bien commencer ma journée par ces deux aspects.

Ensuite, je vérifie avec la production quelles sont les priorités, et j’arrange ma journée selon celles-ci.
Bien sûr, je passe beaucoup de temps en réunion, étant donné que je participe à toutes les hebdomadaires des équipes shading, modeling, lighting, fx, mais cela fait partie du jeu. Et je ne m’occupe pas de previz, d’anim ou de rigging, ce sont d’autres départements.
Selon vous, est-ce un avantage ou plutôt un fardeau d’avoir ces multiples responsabilités?
Un peu des deux. L’avantage, c’est que j’ai une réelle vision d’ensemble sur le projet, sans devoir demander à gauche à droite où en sont les différents départements.
Mais d’un autre côté, il est certain que parfois, c’est un peu too much. Cela dit, je pense que la balance penche plutôt du côté positif.
Comment s’est passée votre sortie des études, et votre arrivée chez nWave?
À mon souvenir, nous avons été l’une des premières promos à être envoyée à Annecy, et c’est là que la connexion entre nWave et l’ESMA s’est faite. Rapidement, un premier contingent a été recruté, puis un second, et alors que l’équipe de nWave ne comptait que 8-10 personnes, nous nous sommes vite retrouvés à trente anciens étudiants ESMA.
C’était une ambiance très particulière, car d’un côté nous nous connaissions toutes et tous, mais en même temps on se retrouvait au milieu de gens qui étaient nos supérieurs hiérarchiques. Mais cela s’est bien passé, et petit à petit, la dynamique s’est installée.
Comment celle-ci a-t-elle évolué pour vous?
Pas à pas. J’ai d’abord commencé en lighting, puis je suis passé sur du modeling car c’était ce dont avait besoin le studio, puis au shading, et c’est là que j’ai trouvé mes marques.
Au fur et à mesure de mon apprentissage, je suis passé lead, puis shading supervisor, et c’est à partir de là (et de la croissance de la boîte), j’ai pris de plus en plus de responsabilités, la direction artistique, etc. Mais tout cela s’ inscrit dans une continuité, avec le temps.
Avec donc, un aspect gestion d’équipe et management que vous avez dû apprendre également…
Je ne sais pas si cela a été à la base de cette évolution, mais j’ai toujours aimé ce côté gestion. Jusqu’à mes jeux vidéo de chevet comme SimCity ou Rollercoaster Tycoon!
Plus sérieusement, j’ai toujours été attiré par ce lien qui existe entre productivité et gestion humaine, et cette transition s’est faite de manière assez naturelle. Mais cela dit, je reconnais que le fait d’aimer cet aspect du travail a été un atout de mon côté, et j’ai eu la chance de m’intégrer dans une société assez familiale, accessible, sans hiérarchie très marquée et dont l’échelle était encore petite lorsque j’ai intégré nWave. Cela ne se serait peut-être pas passé aussi bien dans une société à la structure plus rigide, plus brimante.
Pour aller plus loin, quelles sont les compétences managériales qui te semblent importantes, dans le secteur de l’animation et au vu de ton expérience?
Sans être strict, il faut réussir à trouver le bon équilibre entre mener les gens vers ton objectif, sans pour autant générer des frustrations.
Il y a toujours cette part artistique en nous qui est très importante (que je connais aussi) malgré notre mécanique industrielle. J’estime que je ne peux pas dire à quelqu’un que ce qu’il fait est moche, il faut plutôt expliquer, orienter, proposer des pistes car les goûts sont de toute façon tellement uniques et subjectifs que ces situations peuvent être compliquées.
Réussir à garder cette sensibilité artistique et cette relation humaine tout en ayant en tête les contraintes du projet et les objectifs de productions, c’est un travail d’équilibre, une sorte de main de fer dans un gant de velours.
Et de l’autre côté, que recherchez-vous dans les profils que vous recrutez, en termes de compétences et d’attitude?
L’ouverture d’esprit et l’envie d’apprendre sont essentielles, ainsi qu’une fibre artistique qui va au-delà des univers anime – jeu vidéo.
Lire dans un CV le nom de Pierre Soulages [peintre et graveur français], un artiste que j’apprécie énormément, c’est intéressant et cela montre une vraie envie d’aller au-delà, de piocher dans l’histoire de l’art. Pour moi, c’est important d’avoir cette ouverture sur le monde.
Pour revenir sur Hopper, pouvez-vous nous parler d’une séquence ou d’un élément du film qui vous a marqué, ou qui a représenté un défi particulier?
Il y a de beaux moments d’émotion dans le film, notamment vers la fin du film, où nos personnages évoluent dans un arbre unique, face à des feuilles singulières, qui ont demandé énormément de travail de mise en scène, d’intégration, et de réflexion avec Benjamin pour atteindre ce résultat.
Au début, nous étions dans un vrai cul de sac, on ne savait pas trop où aller, et c’est au fur et à mesure d’itérations et d’échanges que nous sommes arrivés à cette proposition, que j’aime beaucoup.
Les décors souterrains, les phases de quête font aussi partie de mes éléments favoris.


Ce que l’équipe de mise en scène et Benjamin ont vraiment apporté dans ce second opus, c’est cette émotion qui était encore légèrement en dessous dans le premier volet.
Ici, les relations entre les personnages et les arches narratives sont travaillées, ce qui donne un résultat plus impactant en termes d’émotions ressenties. C’est toute la force d’un Disney, et avec ce film, on tend vers quelque chose de cet ordre.
D’un point de vue technique, quels ont été les grands défis de ce nouveau film?
Souvent, dans ce type de production, ce sont les scènes finales. L’ensemble des personnages se retrouve à un même endroit, il y a beaucoup d’action, beaucoup d’effets spéciaux, et tout cela doit être construit en parallèle avec parfois certains éléments qui ne sont pas encore finalisés.
Les foules, mais aussi les explosions et effondrements du dernier acte du film ont été un sacré défi pour les équipes, mais nous avons l’avantage d’avoir toute une série d’outils développés en interne qui viennent s’intégrer à notre pipeline basé principalement sur Maya, et sur Houdini pour les fx.

C’est sans doute la grande force de notre studio, ces outils dédiés que nous avons construits.
À la fois efficaces, mais aussi agiles et en constante évolution avec les besoins de nos productions. Ce qui fait que, de film en film, on fait des petits changements qui induisent de grandes avancées techniques, comme on peut le constater entre le premier et le second Hopper.
Est-ce que, malgré toutes ces responsabilités, vous avez encore le temps de vous consacrer à l’artistique?
Cela me tient à coeur, et j’essaie sur chaque projet d’avoir au moins une séquence de lighting, ou un petit asset en shading.
Mais au-delà de ces contributions, l’aspect artistique est encore très présent dans les feedbacks, dans les échanges avec l’équipe. J’ai toujours cette satisfaction, lorsqu’une séquence est validée par le réalisateur, d’avoir réussi à amener les artistes vers cette vision, vers ce résultat.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants souhaitant s’orienter vers un poste comme le vôtre?
En parlant des étudiants, je voudrais d’abord souligner la qualité des formations que l’ESMA dispense aujourd’hui, et dont j’ai pu découvrir les résultats au jury de cette année.
Ces étudiants, ce sont aussi celles et ceux qui amènent une fraîcheur, une vision et une maîtrise des outils qui nous permettent d’aller de l’avant. Cette foi dans les capacités et les talents de ces étudiants, c’est aussi ce qui nous a permis, à mes camarades et moi-même, de déployer nos ailes durant nos années à l’ESMA et dans l’année qui a suivi où nous avons pu bénéficier des studios gratuitement.
J’en remercie d’ailleurs les équipes, car cette confiance nous a permis de nous construire, en tant que futurs professionnels du secteur.
Mon conseil, ce serait à nouveau de garder l’esprit ouvert, d’être curieux et de vivre son métier avec passion. Regarder des films, se nourrir, accueillir l’échange et ne pas se reposer sur ses acquis. Cela ne veut pas dire qu’il faut être le meilleur partout, loin de là. Mais notre métier est en constante évolution, et ne pas être fermé d’esprit, c’est sans doute la qualité la plus importante pour durer.