Nos anciens au générique

Nos anciens au générique : Wilfried Lhomme, de l’ESMA à Wicked: For Good

3DVF.com pour l'ESMA

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Après avoir suivi une formation aux écoles créatives partagée entre l’ESMA et l’Ecole Pivaut, c’est en tant que Crowd artist que Wilfried Lhomme a construit sa carrière dans le cinéma d’animation et l’industrie des effets spéciaux.

Un parcours qui l’a rapidement amené à collaborer avec des studios de renom, sur des films de plus en plus ambitieux comme Black Panther, Pat Patrouille, et les séries Ms Marvel ou Skylanders Academy. 

Cette année c’est au générique de deux des plus gros blockbusters de l’année qu’on retrouve son nom, puisque Wilfried Lhomme a collaboré (avec Framestore) sur F1 sorti cet été, et sur la suite de Wicked qui sort maintenant dans les salles

Comment devient-on crowd artist, quels sont les défis de ce métier, et comment envisage-t-on une carrière dans ce domaine?

Autant de questions que nous avons partagé avec l’ancien étudiant, aujourd’hui bien implanté dans l’industrie. 

Portrait de Wilfried Lhomme, Crowd Artist

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel à la sortie de l’école? 

Tout d’abord, je tiens à préciser que je n’ai pas terminé mes études à l’ESMA. J’y ai fait mes deux premières années, et puis je suis passé à l’école Pivaut. Cela dit, ces deux ans m’ont permis de construire la base de mon socle de compétences, un apprentissage généraliste qui m’a beaucoup aidé par la suite.

A la sortie de mes études, j’ai rapidement compris qu’il fallait faire des stages pour s’intégrer rapidement dans les studios, et j’ai envoyé de nombreux mails dans ce but. C’est Onyx Films qui m’a répondu en premier, et j’ai commencé ma carrière sur la série Drôles de petites bêtes, en tant qu’animateur. Ce stage s’est poursuivi pour le studio La Station animation, toujours sur la même série, puis j’ai eu la chance de faire un stage à Montréal au sein du studio On Animation, qui produisait alors le film Playmobil.

Après Montréal, vous rentrez en France pour travailler chez TeamTO?

La vérité, c’est que j’aurais pu rester au Canada, mais mon visa a expiré et je n’ai pas obtenu le renouvellement à temps. Je suis donc rentré en France, et c’est là que j’ai été engagé chez TeamTO pour travailler sur Skylanders Academy puis Pyjamasques. Après sept mois de collaboration et ces deux projets, TeamTO a décidé de stopper la collaboration me disant que mon niveau d’animation n’était pas assez bon.

N’ayant pas fini ma formation à l’ESMA, j’ai pris le temps d’une année sabbatique pour affiner mes compétences, travailler mon animation, et je suis allé à Annecy. C’est là que j’ai rencontré les recruteurs de BUF Compagnie, qui m’ont proposé un job d’animateur à Montréal. Je ne suis plus revenu depuis. 

Comment êtes-vous devenu Crowd artist?

C’est pendant la période Covid qu’a eu lieu cette transition. J’avais été mis en pause à cause de la pandémie, et mon PVT était sur le point d’expirer. Une amie avait quitté BUF et était rentrée chez Mikros, en crowd animation, et elle m’a informé que Mikros cherchait quelqu’un avec des compétences en animation pour intégrer leur département. Je ne connaissais pas du tout le domaine, mais je suis “tombé en amour”, comme on dit ici au Québec. 

Depuis, vous avez travaillé sur de nombreux projets, le dernier en date étant Wicked: For Good, comment s’est déroulée cette production? 

Il faut savoir que pour la crowd, on utilise principalement deux outils : d’une part, Golaem, un plugin de Maya, et d’autre part Houdini. Avant d’intégrer Framestore, j’avais principalement travaillé sur Golaem (notamment pour Miraculous, chez Mikros), avec une seule expérience sur Houdini durant ma collaboration avec Digital Domain sur les projets Marvel. Mais malgré tout, j’ai pu rapidement faire mes armes sur Houdini en crowd, au travers de F1 sur lequel j’ai travaillé plus d’un an. 

Sur Wicked, cela s’est très bien passé. J’ai fait surtout du “shot”.

En TD, on fait généralement soit du shot, soit du setup, pour une séquence bien précise où il fallait du renfort en animation de foule d’animaux.

Extrait film Wicked © 2025 Universal Pictures / Marc Platt Productions

On peut voir celle-ci dans la bande annonce, et je me suis occupé de mon côté des animaux en arrière plan, tandis que l’équipe “main animation” avait la responsabilité des créatures en avant-plan.

Quelles sont les particularités de la crowd animation? 

Dans ce projet-ci, le setup était très bien exécuté, ce qui nous a beaucoup aidé et m’a même permis de terminer en avance ces shots. La crowd, c’est un domaine où l’on va prendre beaucoup de temps à mettre en place les setup. Mais une fois qu’ils sont installés, on peut les diversifier sur énormément de choses, et donc copier/coller notre setup pour l’ajuster à chacun des shots.

C’est un peu technique, mais cela va rendre le travail beaucoup plus fluide, et même si l’on a du retard sur les premiers shots, on peut facilement rattraper le retard sur les suivants et équilibrer l’ensemble sur le pipeline complet.

Et comment cela s’est-il traduit concrètement? 

Ici, j’avais autant d’animaux terrestres que aériens à intégrer, donc deux types de setup.

A Montréal, nous étions deux à travailler sur le film, avec un collègue au profil plus technique basé à Londres.

Extrait film Wicked © 2025 Universal Pictures / Marc Platt Productions

De manière générale, les équipes crowd sont assez petites, mais nous interagissons avec un grand nombre de postes, que ce soit rigging, animation, texturing, en fonction des projets.

Ici, nous avons échangé avec les artistes en fourrure, mais aussi avec les riggers pour récupérer les rigs des oiseaux, etc. La puissance d’Houdini, c’est que le logiciel offre énormément de possibilités de transfert de données. On récupère le rig utilisé par les animateurs, on l’allège en fonction de la distance vis à vis de la caméra, et on récupère également les cycles d’animation qui nous intéressent.

Pour Wicked, c’était un cas vraiment particulier car il y a beaucoup d’animaux différents dans ce shot, avec chacun leur action spécifique qui devait être démultipliée par le nombre d’animaux à l’écran. 

Dans votre travail, vous êtes donc en constante communication avec de nombreuses personnes. À quel point cette capacité à communiquer est-elle plus importante que les compétences techniques? 

Elle est extrêmement importante. En crowd, nous avons des connaissances techniques qui vont être plus proches du rigging, ou de voir comment une animation fonctionne, mais tous les crowd artists n’ont pas forcément le même bagage.

Ce qui va être très important, c’est de savoir vers qui se tourner pour adapter les assets en fonction de nos besoins spécifiques. Et donc, pouvoir communiquer avec les bonnes personnes.

En tant que crowd artists, on communique souvent avec les superviseurs, que ce soit le CG supervisor, superviseur animation ou d’autres, qui délèguent ensuite à leurs équipes, ce qui nous permet de côtoyer vraiment celles et ceux qui dirigent le projet. C’est un ping pong entre nous et les autres départements, et c’est très enrichissant. 

Vous évoquiez F1, sur lequel vous avez travaillé juste avant ce projet, qu’est-ce qui vous a marqué sur cette production? 

J’ai travaillé sur deux grosses séquences de circuit, avec une crowd assez statique (composée de spectateurs). Mais malgré tout, nous étions en contact constant avec les équipes de modélisation d’une part, lorsqu’on avait besoin d’une partie des tribunes du circuit, ou bien s’il y avait des chaises ou des tables qui n’étaient pas à la bonne hauteur.

On a aussi beaucoup échangé avec le lighting, pour que les couleurs soient bien réglées. Au final, comme on discute avec l’ensemble des départements, on arrive à avoir une vision plutôt globale du projet et à pouvoir rediriger rapidement vers les bonnes personnes si des repasses sont nécessaires sur certains aspects du film. 

Chaque projet apporte son lot de nouveaux défis, et de nouvelles expériences. Qu’est-ce que Wicked vous a appris, en tant que crowd artist?

C’était la première fois que je travaillais sur des animaux, mais aussi la première fois que je travaillais avec Houdini 25, ce qui a impliqué des changements techniques majeurs.

Ces évolutions (en deux mots, passage d’un système de particules à un système de motion paths) offrent de nouvelles libertés mais aussi de nouvelles contraintes, et il faut pouvoir s’adapter.

Dans cette charge d’animaux, il fallait éviter que les différentes corpulences s’interpénètrent, et cela m’a beaucoup appris. De même, les animations de vol et les différents tempos que nous avons dû intégrer à celles-ci ont posé de nombreux défis. 

Un autre aspect intéressant du film, même si je n’ai pas travaillé directement dessus, c’est celui d’une foule générée à partir d’un photoscan. Un petit groupe de comédiens costumés ont servi de base à la génération de cette foule. Leurs réactions étaient filmées par une multitude de caméras, et cela a permis rendre une crowd réaliste au travers d’un système de points, quelque chose que je n’avais encore jamais vu auparavant. 

Film Wicked © 2025 Universal Pictures / Marc Platt Productions

Qu’est-ce que vous aimeriez partager vis à vis de votre métier aujourd’hui?

C’est un métier mal connu, mais très intéressant. J’ai commencé à donner des cours dans différentes écoles, et les élèves sont généralement curieux. Pour résumer, je pourrais dire que c’est un métier très généraliste, mais plutôt du côté technique qu’artistique. Avoir des compétences de code peut aider à certains aspects d’Houdini et de Golaem, qui utilisent des codes simplifiés mais dont la logique reste similaire. 

L’avantage, c’est que c’est un métier qu’on voit tous les jours à l’écran, même si beaucoup de gens ignorent son existence même dans l’industrie. Pour avoir recours à des artistes en crowd, il faut que le budget soit relativement important, et ce sont donc souvent les gros studios qui font appel à nos profils.

En fait, le crowd artist peut avoir une grande variété de situations, avec des séquences comme celles du circuit que j’évoquais plus tôt, des batailles, ou encore des scènes de rue, mais sans lui, la scène peut paraître très vide. Il y a donc un aspect très satisfaisant à voir son travail à l’écran. 

Mais n’oubliez pas de faire preuve d’humilité également, car votre travail n’est pas forcément la star du show.

Et un conseil pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans cette voie? 

Peu importe le projet, peu importe l’univers dans lequel vous travaillez, ce qui me semble important c’est de rester curieux, de toujours essayer de se renouveler et de tenter de nouvelles choses. Ne pas hésiter à se spécialiser dès les études, vous concentrer sur l’aspect du métier que vous aimez. J’ai réussi, donc tout le monde peut réussir.  

Aujourd’hui Senior Crowd Artist pour DNEG, Wilfried Lhomme se réjouit de cette nouvelle étape dans sa carrière professionnelle. Les projets de DNEG, dont le blockbuster bollywoodien Ramayana ( fresque mi-historique, mi-mythologique qui s’annonce comme un projet d’une très grande ampleur) représentent pour lui de nouveaux défis, et l’occasion d’explorer encore plus ce métier captivant.