Fascinée par ces couleurs vives, la petite pieuvre va se découvrir un nouveau courage et partir à l’aventure dans un océan bien plus vaste qu’elle ne l’avait imaginé.
Comment ces étudiantes ont-ils réussi à ne pas se noyer dans un projet d’une telle ampleur? Et quels outils ont-ils utilisé pour recréer cet océan aux teintes multiples, tout en ajoutant à leurs rendus 3d des effets d’une grande finesse?
C’est ce que nous vous proposons de découvrir à travers ces coulisses.
Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer comment ce projet a vu le jour?
Notre première idée était de partir de la question : “d’où viennent les couleurs vibrantes des récifs de coraux?” De là, nous avons construit un récit de manière collaborative, avec des échanges d’idées entre la team storyboard et la team scénario, pour une meilleure compréhension de l’histoire et une conclusion plus impactante.

Dès le début de ce processus de création, nous voulions un film poétique et contemplatif. Ensuite, nous avons examiné toutes les possibilités d’histoires narratives qu’offrait ce choix, et ce à l’aide de post-its pour avoir la possibilité d’interchanger les scènes entre elles, et déterminer la meilleure approche.
Pour être honnêtes, la toute première version du film n’a vraiment rien à voir avec le résultat final! D’une histoire tournant autour d’une famille de limaces de mer peignant des coraux, nous avons resserré notre récit autour d’une seule protagoniste, Kawa, cette petite pieuvre qui occupe désormais le rôle principal de notre film.
Qu’est-ce qui vous a guidé dans vos réflexions esthétiques?
L’univers aquatique nous a offert beaucoup de matières intéressantes pour donner au film ce look unique. La mer est riche et très inspirante tant d’un point de vue esthétique que scénaristique. Nous voulions un film contemplatif, et il se fait que l’accumulation des contraintes que nous nous sommes imposées pour rendre le film immersif a finalement donné un look singulier aux rendus, notamment grâce aux reflets de l’eau, aux bords débordants ou encore aux couleurs vibrantes de nos images.
Les émotions que traverse notre personnage ont été le fil conducteur pour définir notre palette de couleurs ainsi que les concepts des nombreux décors du film.

Pour revenir sur Kawa, comment avez-vous élaboré ce protagoniste?
La psychologie de notre personnage a énormément influencé son apparence finale. Au fur et à mesure de l’écriture, nous avons pu déterminer si elle aurait un air plutôt adulte ou enfantin, la longueur de ses bras, sa couleur… Nous nous sommes inspirés notamment de Dory bébé pour l’attitude et l’apparence de notre personnage, que nous voulions très expressif.
Cette expressivité a d’ailleurs été l’un de nos plus gros défis, car Kawa possède un visage très simple. C’est uniquement au travers de son regard et de ses expressions corporelles qu’elle s’exprime.
Réussir à transmettre son évolution, ses peurs et ses intentions au public tout en la rendant attachante et crédible, cela a représenté un énorme défi.
Comment avez-vous établi la direction artistique du projet, et quelles ont été vos influences?
Tout d’abord, nous avons fait le tour des références que nous avions en commun, et nous les avons ensuite mixées avec ce qui correspondait aux thématiques du film. Nous voulions un univers aux couleurs tranchées, lisibles et claires, mais également une patte graphique unique et expressive.

Pour arriver à un rendu cohérent et harmonieux, il a fallu procéder à un grand nombre de tests, et donc se heurter à de nombreux échecs. Mais après une longue période de recherches, nous avons fini par aboutir à un résultat qui a contenté tout le monde, tout en étant en adéquation avec nos problématiques et avec l’ambiance de notre histoire.Pour ce volet du projet, notre principale influence est Le royaume des abysses du réalisateur chinois Tian Xiaopeng, pour sa gestion de la couleur et l’effet des FX des particules. Autre inspiration, notamment dans certaines textures et dans la clarté de son storyboard : Le roi tulipe, un court métrage de l’ESMA sorti en 2020.
Mais au-delà de ces deux titres, nous avons eu beaucoup de mal à trouver des références pour les textures que nous recherchions : des formes simples et cartoon, ainsi qu’une texture qui rappellerait de la peinture impressionniste, avec des coups de pinceaux, des nuances de couleurs subtiles et une richesse graphique visible sur les gros plans. Et c’est pourquoi nous avons opéré de si nombreux essais.
Quelle séquence vous a donné le plus de fil à retordre?
Sans aucun doute la séquence finale sur le récif, car elle a nécessité énormément de recherches.
Cette séquence devait être le point d’orgue du film, à la fois pleine de couleurs mais lisible, avec un décor riche tout en laissant place à l’action. Tandis qu’en termes de mouvement de caméra, le plan séquence devait être dynamique sans pour autant donner la nausée.


Au-delà de ce moment précis du film, nous avons rencontré trois défis principaux : D’abord, il fallait réussir à retranscrire la profondeur des fonds marins, tout en étant capables de montrer des objets situés loin en arrière-plan.
Ensuite, nous devions réussir à faire tenir un très grand nombre de plantes et d’animaux marins dans nos plans sans crasher continuellement. Et enfin, notre personnage principal étant un poulpe, cela ajoutait un défi supplémentaire en termes de rigging et d’animation.
Comment êtes-vous venus à bout de ces multiples challenges?
En ce qui concerne les effets d’eau, le défi était de réussir à les simuler correctement en post production. La profondeur atmosphérique, les caustics, les particules, la colorimétrie, et l’aberration chromatique sont des effets qui sont indispensables pour donner vie à notre film. Nous y sommes parvenus au travers de nombreuses itérations et phases de test, ce qui nous a permis d’établir un workflow efficace qu’on a ensuite pu appliquer sur tous les shots.

Pour le poulpe, il s’agissait surtout d’innover pour créer des tentacules fonctionnelles, et rendre leur utilisation la plus pratique et intuitive pour les animatrices. Cela a demandé pas mal de R&D pour le rig, d’autant que cela sortait du spectre de ce que nous avions appris jusque là. Une fois un set up de tentacule créé, nous l’avons codé pour le recréer plus rapidement sur toutes les tentacules du personnage.
Comment s’est passée la répartition des rôles et le travail en équipe ?
Nous avons rapidement désigné deux managers de production, responsables du suivi de projet. Ces deux personnes se concertaient en privé pour déterminer les tâches à accomplir dans la semaine, et décider à qui elles seraient assignées sur base des compétences mais aussi des préférences de chacun, afin d’éviter les frustrations.

Ensuite, nous organisions une réunion toutes ensemble où nous annoncions l’assignation, et tout le monde était libre de suggérer des modifications ou de s’échanger des tâches si besoin. Pour les tâches déplaisantes ou que nous avions du mal à assigner, nous avions la chance de pouvoir compter sur la bonne volonté de toute l’équipe. Il y a toujours eu quelqu’un avec un peu plus de temps libre pour se porter volontaire.
Pour nous, il n’était pas envisageable de rendre un projet incomplet, ou d’inclure des shots non terminés dans le rendu final. Nous avons donc mis la priorité sur le fait de garder toutes les scènes absolument essentielles à la compréhension de l’histoire, et nous avons déterminé très tôt quelles parties du film pouvaient être retirées en cas d’extrême nécessité. De cette manière, nous n’avons jamais eu de doutes sur l’aboutissement du projet, même si nous avons connu des moments où nous doutions de la qualité finale et de l’intégrité de celui-ci.
Qu’est ce qui vous a permis de mener ce projet à bien?
Sans aucun doute l’implication de tous les membres de l’équipe et le soutien mutuel, qui nous ont permis de mener à bien ce projet éreintant à la fois mentalement et physiquement. Notre gros point fort a été la communication, qui nous a permis de garder une très bonne ambiance tout au long du projet, et a poussé tous les membres de l’équipe à donner leur maximum.
Parallèlement, la confiance dont les responsables de production ont pu bénéficier de la part de l’équipe a énormément facilité la distribution des tâches, et vice versa, car la prod avait tout à fait confiance en le reste de l’équipe, ce qui nous évitait de tomber dans du micro-management oppressant. Nous avons également pu compter sur nos professeurs, toujours disponibles, et enfin sur nos camarades. L’entraide entre différents films a en effet été un plus non négligeable, car la discussion des problématiques similaires et le partage tant d’outils que de solutions a pu bénéficier à tout le monde.
Qu’est-ce qui vous rend le plus fier aujourd’hui lorsque vous revisitez ce projet?
Nous avons toutes appris énormément durant ce projet, à la fois sur les outils (particulièrement le format USD et ses implications sur le pipeline) que sur le processus de création. Avec le recul, nous nous sommes dépassées en utilisant des techniques nouvelles, pour faire un film qui nous plait, et qui est tel qu’on l’avait imaginé. Même s’il à des défauts et qu’il n’est pas parfait, on peut quand même être fières de nous.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui réalisent aujourd’hui leur film?
De ne pas trop s’attarder sur des détails comme “la plante du fond qui sera flou, il faut qu’elle soit parfaite!”, mais plutôt bien réfléchir à ce qui doit être parfait ou non.
Et surtout, avoir une bonne organisation.
Mais l’essentiel ça reste quand même de s’amuser, vous vous connaissez toutes et tous depuis la première année, voire depuis la prépa, alors amusez-vous. Parce qu’avec un projet comme celui-ci, certes il y aura forcément des jours compliqués, mais la plupart du temps, ça reste fun!
Corail est à l’image de ses réalisatrices : coloré et vivant. Un univers dans lequel on pourrait se plonger à nouveau avec plaisir.
En attendant de découvrir ce court métrage en festival ou en ligne, retrouvez les autres courts métrages de l’ESMA sur notre chaîne Youtube.
