Interviews d’alumni

Rémy Van Craynest, modeleur 3D : de la formation française aux studios japonais

Angélique Ribas

5 minutes de lecture

Rémy Van Craynest a fait du jeu vidéo un terrain d’exploration autant artistique que personnel. Formé à l’ESMA, il a construit un parcours atypique, entre Berlin et Tokyo, en quête d’expériences et de maîtrise. Son histoire raconte autant l’exigence d’un métier que la curiosité d’un créateur.

Après un bac scientifique, Rémy Van Craynest s’oriente vers les arts appliqués en intégrant l’année préparatoire Entertainment (anciennement MANAA) de l’ESMA.

Ce n’est qu’après cette première année qu’il découvre le potentiel du game design, encouragé par ses enseignants à poursuivre dans cette voie.

Il rejoint alors l’ETPA à Toulouse, où il développe des compétences en conception de jeux, modélisation 3D et codage.

Son intérêt pour le jeu vidéo ne vient pas uniquement des écrans : amateur de jeux de plateau, curieux de systèmes et de récits interactifs, il est rapidement séduit par l’idée de créer des expériences plutôt que de simplement les consommer.

Ce qui l’a marqué dans sa formation, au-delà de l’apprentissage technique, c’est l’état d’esprit. “On apprend la rigueur, la remise en question permanente, la réalité du secteur. La première idée est rarement la bonne. Il faut accepter d’itérer, d’avancer par étapes. C’est une forme de philosophie que j’applique bien au-delà du jeu vidéo.”

Il se souvient encore des cours où, entre deux sessions de modeling, il lui arrivait de tester des jeux pendant les heures de classe. “On jouait, mais pas juste pour s’amuser : on étudiait le gameplay, la logique, l’ergonomie. C’était exigeant, mais stimulant.”

Première immersion : Berlin et la découverte du monde professionnel

Après l’école, il ne parvient pas à rejoindre Ubisoft, et décide alors de tenter sa chance à l’étranger grâce à Erasmus+.

Il part pour Berlin et intègre Mimic Productions, une entreprise spécialisée dans le scan 3D et la motion capture.

Affiche Leage of Legends : KDA Pop/stars

“Ça a été ma première vraie expérience pro. Ambiance internationale, collègues brillants, projets variés : j’ai adoré.”

Parmi les projets marquants, il cite une vidéo promotionnelle de League of Legends dans laquelle il a travaillé sur les animations faciales.

“C’est une vidéo qui a été vue des millions de fois. Ça fait quelque chose de se dire qu’on a contribué à ça.”

L’appel du Japon

Affiche du Jeu Elden Ring

Après deux ans à Berlin, il décide de viser encore plus loin : le Japon. Fan des productions de From Software, comme Dark Souls ou Elden Ring, il se donne pour objectif d’intégrer un studio japonais.

Il suit alors deux années de cours intensifs de japonais, vit de missions freelance et finit par décrocher un poste de consultant 3D à Tokyo.

Aujourd’hui, il modélise pour des clients variés – parfois dans l’automobile haut de gamme, parfois dans le domaine de la tech ou de l’IA. Il espère encore rejoindre un studio de jeu vidéo à part entière. Mais la réalité du marché japonais est claire : “Ce que tu as fait à l’étranger compte peu. Il faut repasser par les cases locales : le test de japonais JLPT, les entretiens informels, l’apprentissage des codes.”

Il évoque un marché exigeant, mais vivant. “Il y a des offres, il y a des chasseurs de tête. Et il y a une vraie demande pour des profils qui savent s’adapter, qui maîtrisent plusieurs styles, comme le réalisme, l’animation, le cartoon. C’est là que je tire mon épingle du jeu.”

Quant aux tendances du secteur, il voit d’un bon œil le renouveau des studios de taille moyenne, plus souples, plus créatifs. Il appelle aussi à se méfier d’une sur-spécialisation : “Un bon modeleur 3D doit pouvoir s’adapter. Accepter un poste sur les interfaces, sur les décors, même si ce n’est pas notre cœur de métier. C’est parfois une porte d’entrée vers autre chose.”

L’IA, un outil à apprivoiser

Concernant l’IA, son discours est lucide. “Elle est là, on ne peut pas l’éviter. Mieux vaut apprendre à l’utiliser intelligemment.”

Il s’en sert pour automatiser des tâches répétitives, tout en gardant la main sur les choix artistiques.

Selon lui, les profils capables d’associer technicité et sens artistique garderont une longueur d’avance.

Enfin, quand on lui demande quel conseil il donnerait à un étudiant, il répond sans hésiter : “Trouvez du plaisir dans ce que vous faites. Ne vous épuisez pas à vouloir cocher toutes les cases. C’est un marathon. Restez curieux. Expérimentez. Parlez aux gens. Voyagez. Parfois, c’est dans une file d’attente qu’on fait la rencontre qui change tout.”

Aujourd’hui, il vit au Japon, où il a fondé une famille. Et s’il reste lucide sur les difficultés du pays, il affirme sans détour : “C’est une aventure. Exigeante, parfois rude. Mais c’est une aventure qui vaut le coup.”