
Après l’obtention de son bac, c’est à l’ESMA Montpellier que Lucie Foncelle fait ses armes dans l’animation 3D, même si elle ne s’y destinait pas à l’origine.
Dix ans après l’obtention de son diplôme, c’est en tant que Senior Rigging Artist pour les prestigieux Studios Illumination qu’elle a reposé les pieds à l’ESMA, en tant que membre du jury 2025.
À cette occasion, nous en avons profité pour échanger autour de son parcours à l’ESMA, autour de son attrait pour le rigging, et sur les différents projets auxquels elle a contribué.
Avec le recul, quels souvenirs et quelles compétences avez-vous gardé de vos années à l’ESMA?
À mon époque, le cursus de l’ESMA se déroulait en 4 ans. Une année de mise à niveau en arts appliqués, MANAA, (aujourd’hui Prépa Entertainment ) qui m’a fait découvrir le monde de l’art et m’a habitué au rythme de travail exigeant de l’école, puis deux années de formation 3D qui m’ont donné un bagage de généraliste, et enfin la dernière année consacrée au film de fin d’études. Nous étions en équipe de cinq, j’étais principalement en charge du rigging et d’une partie de l’animation. Cela m’a également appris les bases de la gestion de projet et du travail en équipe.
Ce que je retiens, c’est que le programme était à l’époque extrêmement dense. La charge de travail était colossale et cela m’a poussé à dépasser des limites physiques et mentales que je ne soupçonnais pas. Nous avions d’ailleurs une devise entre étudiants qui résumait bien l’ambiance : « Moins tu dors, plus t’es fort ». Je sais que l’école a depuis fait évoluer son cursus [en cinq ans, NDLR] pour mieux répartir cette charge avec des années et des spécialisations supplémentaires.
A quoi ressemble votre poste aujourd’hui?
Je suis Senior Rigger au sein du département Rig Set et Props. Chez Illumination, notre équipe est en charge du rigging des décors et des objets. Notre rôle principal est de faire le lien technique entre le modeling et l’animation.
Concrètement, nous riggons les éléments complexes comme les véhicules ou les objets qui se transforment. Ce travail exige de solides connaissances en mécanique pour s’assurer que toutes les déformations soient fonctionnelles et logiques pour faciliter le travail des animateurs. Depuis mon entrée chez Illumination, j’ai principalement travaillé en rigging sur des longs-métrages d’animation.

Ce que vous faites aujourd’hui correspond-il à ce que vous imaginiez en tant qu’étudiant ?
Pas tout à fait. Je pensais initialement me diriger vers l’animation, mais j’ai découvert une véritable affinité pour le rigging durant ma dernière année d’études. On m’a alors conseillé de me spécialiser car c’était un profil très recherché. J’ai suivi cette voie et je ne le regrette absolument pas. C’est un métier en évolution permanente qui me pousse à être en apprentissage constant, que ce soit pour maîtriser de nouvelles technologies ou pour approfondir mes compétences en code.
Quel est le projet dont vous êtes la plus fière à ce jour ?

Chaque film sur lequel j’ai travaillé apporte son lot de défis, mais je suis fière d’avoir travaillé sur Super Mario Bros en raison de sa notoriété et de sa communauté de fans. Cela dit, le projet sur lequel je suis en ce moment est techniquement très ambitieux, et j’en suis également très fier.
Comment percevez-vous l’état actuel du secteur en France et à l’international ?
Le secteur de la 3D a connu une période très mouvementée ces dernières années. Nous avons assisté à plusieurs fermetures de studios, en France mais aussi à l’international, ce qui a rendu le marché de l’emploi très tendu, en particulier pour les profils juniors. Heureusement, on observe une reprise encourageante depuis quelques mois : les studios recommencent à recruter et les budgets nécessaires au lancement de nouvelles productions semblent se débloquer. J’espère sincèrement que cette dynamique positive va se consolider. Personnellement, je n’ai pas ressenti de ralentissement.
Pour vous, c’est donc plutôt un cycle qu’une véritable transformation de l’industrie?
Oui tout à fait, notre secteur a toujours été très réactif aux changements de la société. Il y a des facteurs positifs, comme les avancées sur les droits d’auteur, et des facteurs plus négatifs comme l’inflation qui vient réduire les budgets. C’est un milieu qui a toujours connu des hauts et des bas. Cela dit, le respect d’un budget est une contrainte normale pour chaque production, et la manière dont il est alloué dépend toujours directement des ambitions du projet.
Dans ce contexte d’évolution permanente, qu’est-ce qui fait selon vous un bon professionnel de l’animation?
La curiosité et la soif d’apprendre. Notre secteur est en perpétuelle évolution technologique, il est donc crucial de ne jamais se reposer sur ses acquis car une compétence très demandée aujourd’hui peut devenir obsolète rapidement. La persévérance est également clé, car un bon graphiste doit constamment se former et s’adapter aux changements.
Qu’en est-il des compétences managériales?
Elles sont essentielles. C’est un milieu où on travaille toujours en équipe. Le relationnel est aussi important que les compétences. Un bon superviseur ou un bon lead ne se contente pas de gérer un projet, il doit créer un environnement de travail sain et convivial. C’est cette compétence qui fait toute la différence et qui permet à une équipe d’être non seulement productive, mais aussi soudée.
Les jeunes diplômés arrivent-ils suffisamment préparés selon vous ?
Non, malheureusement. Le nombre d’écoles de 3D en France a beaucoup augmenté, mettant chaque année des centaines de diplômés sur un marché où les postes juniors sont limités. Face à cette forte concurrence, il ne suffit plus d’être bon pour se démarquer, il faut être excellent. Et toutes les formations ne préparent pas leurs étudiants avec le niveau d’exigence requis ni ne les confrontent assez à la réalité de l’industrie. Selon moi, il faut privilégier la qualité à la quantité. Mieux vaut former 50 graphistes excellents et prêts pour le marché, que 200 diplômés « moyens » qui auront du mal à trouver un poste. Et surtout, il faut confronter les étudiants aux vraies conditions de production : le travail en équipe sous pression, le respect des délais et l’apprentissage de la critique constructive.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des relations entre écoles et studios ?
Ce lien est très important. Les écoles qui travaillent main dans la main avec les studios sortent vraiment du lot. C’est gagnant-gagnant : l’école a une meilleure réputation et les étudiants ont beaucoup plus de chances de trouver un job à la sortie. Ça leur permet de décrocher des stages et parfois même d’être formés directement pour un studio, ce qui est un vrai tremplin pour leur carrière.
Revenons sur les aspects gestion d’équipe et management, et capacité à travailler en équipe. À quel point ces compétences sont-elles nécessaires selon vous?
C’est essentiel, pas seulement nécessaire. On ne fait pas un film tout seul dans son coin. Un projet, c’est une chaîne où chaque artiste est un maillon qui dépend des autres. Vous pouvez être le meilleur technicien du monde, si vous ne savez pas communiquer, accepter un retour ou travailler avec les autres, vous devenez le maillon faible qui bloque toute la production.

Pour parler des nouvelles technologies, et notamment de l’IA générative, comment celles-ci ont-elles changé votre manière de produire, et quels métiers sont les plus menacés selon vous?
Cela change la manière de produire, en bien. On gagne du temps, les calculs sont plus rapides, la qualité de l’image est meilleure. L’évolution de l’IA est vertigineuse, et utilisée en tant qu’outil elle permet déjà de faire un bond gigantesque dans beaucoup de domaines. Cependant, certains secteurs comme la prévisualisation risquent d’être beaucoup moins demandés. Mais au fond, c’est un cycle qu’on a toujours connu : à chaque grosse avancée, certains métiers disparaissent et d’autres sont créés. Pour moi, la technologie n’est qu’un outil au service de l’artistique. C’est tout mon métier de rigger : construire un outil technique complexe qui doit être simple d’utilisation pour permettre aux animateurs de faire tout ce qu’ils veulent.
Cela a-t-il un impact sur la structuration des équipes, les budgets, ou les délais?
Oui, on suit de près les évolutions technologiques et on les intègre dans nos projets. Le but est d’être plus efficace. Si un nouvel outil nous permet de gagner du temps, d’améliorer la qualité, ou de mieux tenir nos budgets et nos délais, c’est intéressant. Ça ne change pas forcément la structure des équipes du jour au lendemain, mais ça demande à tout le monde de se former et de s’adapter en continu. L’impact se voit surtout sur les compétences qu’on doit garder à jour.
Comment voyez-vous cette évolution dans les prochaines années?
Je vois surtout l’IA s’intégrer comme un assistant pour nous faire gagner du temps sur les tâches lourdes et répétitives. Ça nous laissera plus de place pour la partie créative. À côté de ça, la production en temps réel va devenir la norme. On pourra prendre des décisions artistiques beaucoup plus vite, sans attendre des heures pour un rendu. Ce qui est certain, c’est que le savoir-faire et la qualité des studios français sont aujourd’hui reconnus, on a largement fait nos preuves mondialement. Mais pour moi, notre plus grande force aujourd’hui, c’est notre capacité à collaborer avec de grands studios internationaux.
Et vous, où vous voyez-vous dans cinq ans ?
Difficile de répondre, car c’est un milieu qui change constamment. Si les choses restent comme elles sont dans les cinq prochaines années, j’aimerais évoluer vers un poste de superviseur chez Illumination. J’ai envie de prendre plus de responsabilités.
Quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui se forment aujourd’hui ?
Visez l’excellence, pas seulement le diplôme. Ne vous contentez pas de votre formation, faites du travail personnel en plus, il faut montrer que vous êtes meilleurs que les autres. Le niveau est très élevé et il y a peu de place. Soyez curieux et autonomes, car les technologies et les métiers changent constamment. Enfin, apprenez à travailler en équipe et à recevoir la critique.
Et un dernier point important : renseignez-vous sur le statut d’intermittent du spectacle. C’est un système d’assurance chômage unique en France, adapté à notre travail par contrats courts. C’est ce qui nous permet de naviguer entre des projets très différents. Le grand avantage, c’est qu’il apporte une sécurité financière entre deux projets. L’inconvénient, c’est qu’il faut être constamment à la recherche de missions pour cumuler les heures nécessaires.
En 2015, c’est (notamment) en raflant le premier prix du jury ESMA avec son court métrage Château de Sable que Lucie Foncelle avait réussi à décrocher son premier emploi chez Illumination. Dix ans plus tard, le secteur a évolué, mais la Senior Riggeuse le confirme, cette jeune génération est pleine de talents, de créativité et d’ambition. La relève (avec laquelle elle a pu échanger durant sa participation au jury de l’ESMA Graduation Show 2025) sera, elle en est convaincue, brillamment assurée.






































